Inégalités hommes-femmes dans l’entreprise et dans l’économie : comment les combattre ?
Mieux comprendre les inégalités hommes-femmes pour engager des changements concrets : telle était l’ambition de l’événement organisé par l’association HEC Débats, en partenariat avec McKinsey France, le 4 décembre dans les locaux d’HEC. La soirée a débuté par la projection du film Numéro Une, qui décrit l’ascension d’une femme aux plus hautes responsabilités d’un groupe du CAC 40. Après une présentation des principaux enseignements de la série d’études « Women Matter », menées par McKinsey depuis près de dix ans, une table-ronde a permis de recueillir les analyses de Tonie Marshall (réalisatrice de Numéro Une ), Cécile Kossoff, Director Global Communications Excellence chez McKinsey, et Olivier Sibony, professeur à HEC.
« Je me réjouis qu’il y ait autant d’hommes dans la salle » se réjouit d’emblée Cécile Kossoff, co-auteure des études Women Matter , menées depuis de nombreuses années par McKinsey sur les questions de diversité et d’égalité hommes-femmes. Au cours de cette décennie, les rapports successifs ont permis de porter un regard à la fois global et détaillé sur les inégalités hommes-femmes dans le monde, les freins, les barrières, et les leviers de changement.
« An enormous waste »
Les études Women Matter menées au fil des années par McKinsey permettent de comprendre que la situation est préoccupante, et qu’elle évolue peu. Les inégalités hommes-femmes restent nombreuses partout dans le monde, à tous les niveaux, qu’il s’agisse de l’accès aux services essentiels (eau, santé, services financiers) dans au moins 40 pays, de la représentation politique (seulement 22% de femmes à des postes ministériels ou parlementaires dans le monde), ou encore des inégalités inscrites dans la loi (90% des pays ont des discriminations dans leur législation, selon une étude FMI-Banque Mondiale).
Au travail, si les femmes représentent 50% des diplômés, elles ne sont que 25% dans les positions de management, et occupent 5% seulement des postes de dirigeants dans les entreprises des pays de l’OCDE (17% des CA et 12% des comités de direction dans les pays du G20). On constate quelques progrès depuis dix ans en Europe, mais on comprend le chemin qui reste à parcourir quand on voit que le meilleur élève européen, la Suède, ne compte que 23% de femmes dans ses comités de direction. Lors de ses rencontres avec les auteurs de l’étude Women Matter, la réaction d’Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE, a d’ailleurs été sans appel : « This is an enormous waste » .
Pour Cécile Kossoff, les résultats successifs de l’étude Women Matter permettent de comprendre qu’il n’y a pas pour les femmes un seul plafond de verre, situé tout en haut de l’échelle hiérarchique, mais plutôt une multitude de plafonds et de contraintes, tout au long de leurs carrières professionnelles. Partout dans le monde, plus on monte dans les rangs hiérarchiques, plus la proportion de femmes se réduit.
Un impact économique massif
Au-delà de l’évidente dimension éthique, l’étude Women Matter permet de comprendre que l’inégalité hommes-femmes a aussi des conséquences économiques directes. Selon les calculs de McKinsey, une réduction du « gendergap » pourrait générer 240 millions d’emplois supplémentaires et apporter au PIB mondial près de 12.000 milliards de dollars, soit le PIB combiné du Japon, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. Selon McKinsey, il est possible de capturer cette croissance additionnelle en comblant les inégalités hommes-femmes à trois niveaux : en accroissant la participation des femmes au marché du travail, en augmentant le nombre d'heures travaillées par les femmes, et enfin par leur participation accrue aux secteurs les plus productifs.
La démonstration fonctionne également d’un point de vue microéconomique : de très nombreuses études ont prouvé qu’une mixité plus importante est bénéfique pour la performance organisationnelle et financière des entreprises. 60.000 employés ont été interrogés au cours de l’étude, les entreprises comptant plus de femmes dans leur comité de direction étaient systématiquement mieux notées en termes d’organisation.
« Un peu en-dessous de la vérité »
Au cours du débat qui a suivi l’exposé des résultats de l’étude Women Matter , la réalisatrice du film Numéro Une , Tonie Marshall, a raconté la genèse de son œuvre. Après avoir voulu créer une série autour de ce thème en 2009 (sans pouvoir trouver de financement), Tonie Marshall s’est rendue compte récemment que la question de l’inégalité hommes-femmes ne progressait toujours pas. Elle s’est alors décidée à évoquer ce thème à travers le personnage d’une femme confrontée aux problématiques du pouvoir dans un groupe du secteur de l’énergie. Afin de préparer son long-métrage, Tonie Marshall a rencontré de nombreuses femmes ayant des postes de responsabilité dans l’industrie, avec l’aide de Raphaëlle Bacqué, journaliste au Monde . Remarques sexistes, misogynie, omniprésence de réseaux exclusivement masculins, absence de réseaux féminins… : le constat a été sévère et Tonie Marshall admet que son film reste « un peu en-dessous de la vérité » , sans bien sûr se vouloir « anti-hommes » .
Pour Olivier Sibony, professeur de stratégie à HEC, les chiffres de l’étude Women Matter démontrent la réalité du problème depuis 2007, mais montrent aussi que la situation ne s’améliore pas. Alors comment faire pour lutter concrètement contre les inégalités hommes-femmes ? Il faut changer le processus par lequel les décisions se prennent. Selon Olivier Sibony, le vrai problème n’est pas que des femmes compétentes n’aient pas accès à des postes de décision, mais que des hommes incompétents puissent les occuper à leur place. Il s’agit donc maintenant, pour Olivier Sibony, de « débiaiser les processus de décision » , et la mixité suivra.