Loi Pacte : un bouleversement pour les entreprises françaises ?
Un an après le lancement du Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, le 23 octobre 2017, l’Assemblée Nationale a adopté en première lecture la loi Pacte. Après ce vote, quelles seront les responsabilités de nos entreprises face aux exigences et aux besoins de notre société ? Doivent-elles entamer un « Big bang » ou faire de « petits pas » pour faire évoluer leur rôle social et sociétal ? Telles étaient les questions au cœur d’un débat organisé le 9 octobre 2018 entre deux professeurs d’HEC Paris, à quelques heures du premier passage de la loi à l’Assemblée Nationale.
Les professeurs Rodolphe Durand et Alain Bloch n’ont pas manqué de rappeler le moment « historique » que vit la France avec la loi Pacte dans sa section sur la raison d'être des entreprises. En modifiant l’article 1833 du Code civil, article qui n'a guère évolué depuis deux siècles, ce texte redéfinit le rôle des entreprises françaises au 21ème siècle en demandant, entre autres, que toute société soit désormais gérée au mieux de son intérêt supérieur, en considérant les impacts environnementaux et sociaux de son activité .
Le texte de la loi Pacte s’étend plus de 1.000 pages avec, au total, 70 articles portant sur les aspects essentiels de la vie des PME et de leurs salariés. Cette législation est issue d’une concertation démarrée au mois de janvier 2018, au cours de laquelle 7.700 personnes ont envoyé près de 13.000 contributions en réponse aux 31 propositions de l’exécutif.
Le résultat ? « C’est un changement fondamental, » , selon Rodolphe Durand, professeur de stratégie et directeur académique du Centre Society & Organizations (S&O) d’HEC, « car la loi traduit le fait que le sérieux est en train de changer de camp. Aujourd’hui les sociologues, les professeurs de gestion, les écologistes, les climatologues et les spécialistes de l’environnement démontrent, preuves à l’appui, que ces enjeux sociétaux et environnementaux sont fondamentaux. Ils sont déterminants pour la survie de nos systèmes sociaux et politiques. Et ceux qui freinent ou rejettent la loi perdent de leur crédit en ne limitant l'objectif des entreprises qu'au seul profit. » Des propos récents lui donnent raison : dans une tribune publiée le 17 octobre, le président du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), Fabrice Bonnifet note que « l’ancien modèle d’entreprise, prédateur immédiat, va disparaître au fur et à mesure de la prise de conscience des consommateurs au profit d’un nouveau modèle, celui de l’entreprise contributive. »
Pérennité avant tout
Alain Bloch, pour sa part, a souligné le fait que la loi doit inciter les entreprises à supplanter le profit par la pérennité. « En termes stratégiques, » explique le directeur scientifique d’HEC Entrepreneurs, « la pérennité est une alternative au profit, même s’il elle ne s’y oppose pas. C’est une question de hiérarchie : si on met au premier plan la pérennité, on intègre des objectifs sociaux et on n’a pas la même allocation de ressources. » Lui-même entrepreneur, Alain Bloch a ajouté : « au fond, cette loi Pacte est un débat entre le court et le long terme. Elle nous rappelle que le court-termisme, lorsqu’il est lié au profit comme seul objectif de la gouvernance des organisations, finit par être dévastateur. Il a des conséquences redoutables pour l’environnement et la société. »
Concernant la loi elle-même, Alain Bloch a regretté la « timidité » du gouvernement qui, selon lui, a été pris de court par les demandes croissantes pour un changement de fond : « il aurait fallu une rédaction différente du texte gouvernemental. En voyant le succès des entreprises familiales, comme Michelin par exemple , on constate les effets positifs de la pérennité. Elle rassemble toutes les parties prenantes de l’entreprise. Pourquoi ne pas ajouter une phrase à la loi Pacte, qu’on pourrait rédiger de la façon suivante : "elle doit être gérée dans la perspective de sa pérennité" » ?
Vision européenne
Pour le bénéfice de la société, Rodolphe Durand a appelé de ses vœux un modèle entrepreneurial plutôt qu’actionnarial et souligné la dimension européenne de la critique du « mercantilisme anglo-saxon », ou la fuite en avant des pays émergents : « il y a plusieurs éléments qui montrent qu’il y a une prise de conscience en Europe. Les commissions et les lois prennent en compte la finance durable sur tout le continent. Les débats à Bruxelles évoquent la question de la certification et la labellisation des entreprises en fonction de leurs impacts sur l'environnement et les sociétés où elles opèrent . Cela laisse penser qu’au cours de la prochaine mandature ces éléments seront intégrés au niveau européen. Je pense que l’Europe devient petit à petit un espace économique et politique qui prend en compte les enjeux auxquels nous sommes confrontés. »
« Mais attention ! On voit aussi une forme de réticence, une réaction défensive de la part des électeurs qui pourrait favoriser les partis du repli sur les territoires qui ne sont pas favorables à ces évolutions-là. Pour moi, les élections européennes du 26 mai 2019 seront parmi les plus importantes depuis 1979 (NDLR : les premières élections européennes au suffrage universel direct). »
La loi Pacte et l’enseignement
Alain Bloch a évoqué pour finir les évolutions positives qu’il constate dans l’enseignement de ces nouvelles valeurs au sein d’HEC : « on en tient compte dans nos pédagogies et, là, je pense qu’il faut faire amende honorable. Pendant trop longtemps, on a laissé s’imposer le dogme du profit au-delà de ce qu’on aurait dû faire, sans beaucoup le critiquer, et sans mesurer ce que seraient les conséquences à long terme. Mais aujourd’hui la majorité des professeurs, selon moi, ont pris conscience de ce nouveau paradigme. Désormais, même les professeurs de finance "purs et durs" transmettent davantage aux étudiants un esprit critique et encouragent la recherche de paradigmes alternatifs. »
Tous deux suivront certainement avec attention l’évolution de la loi Pacte et son examen par le Sénat en janvier. Si le texte est adopté, le gouvernement prévoit la mise en œuvre des premières mesures dès les premiers mois de l’année 2019.