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AfricaDays 2018 : des graines pour l’avenir

Le 3 avril dernier, près de 400 personnes ont bravé les grèves des transports et un temps particulièrement maussade pour assister sur le campus d’HEC Paris à la deuxième édition d’AfricaDays, dédiée cette année à l’intégration de la technologie dans l’agriculture du continent. « La Révolution Verte 2.0 »  : le thème retenu cette année a rassemblé des spécialistes, des étudiants, des chercheurs, tous témoins du développement d’un secteur qui se révèle être le plus grand employeur en Afrique, et un facteur-clé pour son développement au 21e siècle.

Wairimu Muthike, Business Development Director of ACRE Africa, winner of the inaugural HEC-OCP Award for Best African AgTech Startup - HEC Paris AfricaDays 2018

Les organisateurs de l’AfricaDays n’auraient guère pu imaginer des circonstances plus difficiles pour cette deuxième édition. En dépit du nombre de personnes enregistrées, plus de 600 au total, le premier jour de grève des chemins de fer français n’a pas facilité l’accès au campus de Jouy-en-Josas pour la plupart des participants aux AfricaDays 2018. Ils furent malgré tout très nombreux à y parvenir pour bénéficier d’une soirée au programme dense, hors des sentiers battus, autour d’un thème stimulant : « Qu’est-ce que l’avenir réserve à l’agriculture africaine ? »

« Le format retenu pour cette année est encore plus adapté que celui retenu pour l’édition 2017 » , confiait à la fin de la soirée Christian Kamayou, fondateur de MyAfricanStartup« Nous avons été encore plus concrets, et concentrés sur un sujet qui est au cœur du développement africain et des défis auxquels nous faisons face. N’oubliez pas que 65% de la main-d’œuvre du continent travaille dans ce secteur. Mais l’événement de ce soir ne parlait pas seulement d’agriculture, mais aussi de la technologie dont on a besoin pour répondre aux exigences croissantes d’une population qui doit doubler d’ici 30 ans. Et puisque cela aura un énorme impact sur la jeunesse du continent, il était justifié que de jeunes étudiants d’HEC soient en première ligne des échanges de ce soir. »

Trois étudiants du programme Grande École d’HEC Paris, originaires de Casablanca, ont ainsi partagé leur projet Seed Project 2017 avec le public de l’auditorium Blondeau. L’occasion de décrire les recherches ambitieuses du groupe de réflexion qu’ils ont initié, consacré à la technologie dans l’agriculture (l’AgTech ) et à son possible impact sur l’Afrique. « Notre année sabbatique a commencé par un voyage de deux mois au Cameroun, en Ethiopie  et au Kenya »,  a décrit Fadel Bennani, le charismatique co-fondateur de ce groupe. « Nous avons étudié les défis auxquels les fermiers font face dans un secteur très peu digitalisé de la société. Le Seed Project a fait des recherches sur les problèmes liés à l’infrastructure, l’exploitation, et le profit. En comparant l’agriculture africaine avec les réalités de pays tels que le Brésil ou l’Indonésie, nous avons évalué le potentiel impact que pourrait avoir l’AgTech sur le continent. Nous cherchons maintenant à savoir comment l’innovation pourrait répondre au défi de production le plus important de son histoire. »  

L’étudiant a conclu son propos en saluant les conseils du directeur scientifique du Centre d’Entrepreneuriat d’HEC, Etienne Krieger, qui a fourni la méthodologie nécessaire à l’équipe d’étudiants pour établir leur projet. Leur travail doit être prolongé par une équipe appelée à constituer The Seed Project 2019. Assistant à la présentation, l’Ambassadeur de Côte d’Ivoire, Charles Gomis, a indiqué que son pays accompagnerait les étudiants l’année suivante et a sollicité un soutien accru des entreprises à l’événement.

L’Afrique redéfinit les règles du marché

Le modérateur de la soirée, Bertrand Moingeon, a ensuite évoqué les obstacles que peut rencontrer le continent dans sa quête pour l’autosuffisance et le développement. « L’Afrique ne produit aujourd’hui qu’un tiers de ses besoins alimentaires et doit importer 30 milliards d’euros de produits agricoles chaque année. Et cela doit quadrupler d’ici 2030 !  Comment un continent, surnommé le grenier du monde, peut enrayer cette tendance ? »  Dans la deuxième des quatre réunions de la soirée, intitulée « Les start-up qui révolutionnent l’agriculture africaine » , Jean-Rémi Gratadour a pour sa part suggéré des options possibles : « nous avons vu que le codage est devenu une grande force égalisatrice dans le monde » , remarquait le directeur exécutif du Centre Digital de HEC, «  et notamment en Afrique. Les start-up africaines ont déjà démontré comment elles peuvent redéfinir les règles du marché, elles peuvent le faire encore une fois. »

L’esprit d’innovation est la force motrice du classement créé par The Seed Project. Ses membres ont rédigé une liste des 50 meilleurs start-up africaines d’Agtech . L’une d’entre elles, ACRE Africa (Agriculture and Climate Risk Enterprise Ltd.), était présent aux AfricaDays 2018 par l’intermédiaire de Waitimu Muthike, la responsable du développement de l’entreprise, venue du Kenya pour recevoir le premier Prix HEC-OCP de la meilleure start-up africaine d’AgTech . Le prix inclut d’ailleurs l’accès à l’HEC Executive online certificate in strategy. Les activités sociales qu’ACRE Africa développe depuis 2010 ont débuté via un petit projet destiné à 185 fermiers locaux, lui permettant de devenir aujourd’hui un agent et intermédiaire certifié d’assurances pour plus d’un million de fermiers au Kenya, au Rwanda et en Tanzanie. ACRE Africa a réussi à créer des produits d’assurance peu coûteux et faciles d’utilisation qui protègent les fermiers de la région de l’Afrique de l’Est contre des conditions météorologiques imprévisibles. « Je suis ravie d’obtenir ce prix. Cela récompense notre travail, notre façon de valoriser l’expertise et d’allier la technologie avec des partenariats élargis »  a-t-elle dit au public. ACRE Africa vise à accélérer le plein potentiel de l’agriculture africaine « en éliminant le stress et les dégâts  potentiels des variables climatiques pour les fermiers partout dans le continent. »

Une révolution arc-en-ciel pour l’agriculture africaine

Patrick Caron a quant à lui insisté pour ne pas avoir une vision trop réductrice, souhaitant que les solutions soient aussi diverses que les populations de l’Afrique et ses cultures. « Je n’appelle pas cela une révolution verte, mais une révolution arc-en-ciel, avec au moins 54 couleurs, »  a indiqué l’ancien directeur général en charge de la recherche et de la stratégie au CIRAD, une organisation française de recherche agricole et de coopération internationale. Patrick Caron dirige maintenant le panel de haut niveau du Comité de l’ONU pour la Sécurité Alimentaire Mondiale, le CSA. « L’Afrique exige des solutions différentes, qui combinent  les meilleures innovations, adaptées à chaque contexte, »  a-t-il poursuivi dans une de ses interventions de la soirée. « Au même titre que le téléphone portable, pour lequel les Africains ont su sauter les étapes que d’autres ont douloureusement franchies, les dirigeants des pays d’Afrique doivent adapter leurs politiques aux réalités locales d’une agriculture qui a vraiment besoin d’évoluer. » Face à la complexité et la diversité du paysage agricole du continent, Patrick Caron a également souligné le manque de chercheurs africains dans le domaine (« 500 à 1.000 fois moins de chercheurs par agriculteur que dans le reste du monde » ), tout en appelant la communauté internationale à aider le continent à répondre aux défis posés par les 30 millions de jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année.

 « La nature des débats organisés à l’occasion des AfricaDays 2018 en ont fait un véritable événement d’apprentissage” , indiquait Bertrand Moingeon à l’issue de la conférence de trois heures. « L’avenir agricole de l’Afrique est un des problèmes fondamentaux de l’humanité. Les dirigeants et les experts membres des panels construits autour des recherches présentées par les étudiants d’HEC dans The Seed Project ont démontré qu’il existe des solutions concrètes pour créer une « révolution verte 2.0 ». Mais cette révolution nous oblige à repenser la bonne gouvernance de l’écosystème agricole africain, tout en respectant sa richesse et sa diversité. »

Un avertissement similaire a été formulé par Henriette Gomis-Billon, l’enthousiaste directrice du développement durable du groupe ivoirien SIFCA. Elle a insisté pour que les projets visant une plus grande productivité respectent des normes environnementales transparentes et rigoureuses : « nous n’aurons bientôt plus de terres fertiles » , a-t-elle indiqué, « bien que nous nous attachions à travailler avec des producteurs locaux de canne à sucre, d’huile de palme et de caoutchouc. Dans les cas de l’huile de palme et le caoutchouc, ces plantations faites dans les villages fournissent plus de 70% de notre production. Notre défi est de les guider vers une agriculture saine qui n’épuise pas le sol ».

Des coopérations Sud-Sud

Karim Lotfi Senhadji pense que l’expérience séculaire de son entreprise sera fort utile pour face aux défis de cet écosystème. Il est le directeur général d’OCP Africa, une filiale  du Groupe OCP, le premier exportateur marocain de produits phosphatés, comme les engrais. « Notre longue expérience dans la chaîne  de valeur des phosphates peut être étendue à tous les domaines de l’agriculture » , a-t-il indiqué. « Notre entreprise s’est modernisée grâce à sa transformation digitale. Notre taille et notre réputation nous permettent de bénéficier d’un état d’esprit fort lorsque nous travaillons sur des partenariats, avec IBM par exemple, ou lorsque nous négocions avec les institutions issues des accords de Bretton Woods. »

Le groupe OCP a souligné qu’il fait confiance aux nouvelles générations d’étudiants et de chercheurs issus d’écoles comme HEC Paris. Cela se concrétise dans le parrainage de The Seed Project et le soutien apporté aux AfricaDays 2018. Mais l’engagement principal est plus proche des origines du groupe, selon Karim Senhadji : « nous investissons beaucoup dans la R&D, dans le développement de nos accélérateurs, ainsi que de notre incubateur à l’Université Mohammed-VI. Je dois néanmoins souligner que les fermiers africains restent au cœur de la stratégie du groupe. Nous avons expérimenté de nouveaux engrais moins coûteux avec des fermiers éthiopiens, par exemple, ce qui a permis d’augmenter les récoltes de maïs de 37%. »

 « Plus fondamentalement » , a conclu Karim Senhadji, « nous travaillons sur le traitement des matières premières de l’Afrique sur le continent lui-m ê me. Cela incarne parfaitement la philosophie Sud-Sud. Il y a eu des projets pilotes au Nigeria et en Côte d'Ivoire  cette année et nous en mettrons en œuvre un autre au Rwanda l’année prochaine » .

Le recyclage au cœur de l’agriculture… et de la mode

A l’extérieur de l’auditorium Blondeau, l’entrée des AfricaDays avait été transformée en une riche palette composée de sons, d’images et de parfums représentatifs de l’Afrique de l’Ouest et de sa diaspora. Les participants à la conférence ont ainsi pu découvrir les noix de kola et l’huile de palme offerts par le groupe ivoirien SIFCA, et tester les jus raffinés et les confitures de l’épicerie fine Joe&Avrels ou la diversité des sucres produits en Côte d’Ivoire. Ils ont pu apprécier également les plats de mafé sénégalais et de yassa offerts par le food-truck  Black Spoon de Fati Niang, servis aux rythmes du talentueux trio sénégalais Magou Samb ou de DJ Soukous.

Les participants ont ensuite débattu des moments les plus marquants de la soirée dans l’espoir que l’initiative d’AfricaDays se renouvellerait. « J’ai été surpris par la qualité des débats sur le secteur agricole »  avouait Arnaud, étudiant en troisième année de Grande Ecole. Deux autres étudiants ont retenu l’importance des solutions Sud-Sud proposées pendant le débat par OCP pour répondre aux problèmes agricoles qui nuisent à l’environnement : « les questions de l’accès aux ressources, de l’environnement, des engrais produits localement, de la transformation des matières premières… Tous ces enjeux ont été traités avec beaucoup d’imagination et d’audace, et je trouve cela inspirant ».

Une diplômée du programme Stand-Up d’HEC Paris, Ramata Diallo, a fait part de son étonnement face au nombre d’initiatives agricoles originales destinées à éviter les écueils rencontrés ailleurs. Quoique plus impliquée dans le conseil pour les designers et les entrepreneurs de la mode (avec son agence récemment créée dans ce domaine), la jeune entrepreneuse française, originaire de Guinée, pense que l’événement a permis de révéler une philosophie commune : le recyclage. Ramata Diallo précise : « avec 54 pays différents, on ne peut pas faire de généralités à propos du continent africain. Mais qu’il s’agisse de la mode ou de l’agroalimentaire, il semblerait qu’il y ait une tendance africaine à bannir le gaspillage, à n’investir que dans ce qui est nécessaire, à recycler (les vêtements  d’occasion ou les produits alimentaires), à tout utiliser, à « upcycler ». Toutes ces habitudes enracinées sont si éloignées de la société de consommation que nous vivons ici. Elles nous orientent vers un avenir plus sain pour la planète. »

La philosophie anti-gaspillage du continent africain : une force galvanisante pour l’avenir de l’agriculture ? Les organisateurs d’AfricaDays 2018 seraient heureux de reprendre ce concept. Le directeur des Affaires internationales d’HEC Paris, François Collin, s’est quant à lui déclaré ravi des résultats de cette deuxième édition : « les AfricaDays sont une excellente occasion de combiner les compétences et les connaissances issues du terrain. Les débats de ce soir confirment clairement que nous avons suivi le bon chemin en créant un espace d’échange entre les étudiants d’HEC Paris et les personnes qui ont les moyens de changer les politiques et les mentalités ».