Christine Lagarde décrit aux étudiants d’HEC un avenir numérique, et vert
HEC Paris et la Ligue Européenne de Coopération Economique (LECE) se sont associés pour inviter Christine Lagarde à la première session des conférences HEC Talks. La présidente de la Banque centrale européenne s'est adressée, en mode hybride, à un public d'environ 10.000 personnes autour d’un thème d’actualité : « Moving forward : the Euro and the European economy in a changing world ». Cette intervention a été suivie d'un débat très ouvert, qui a permis d’évoquer la politique monétaire, les crypto-monnaies, ou encore la place des femmes dans le monde des affaires.
« Nous sommes sortis du gouffre, mais nous ne sommes pas encore sortis du bois. Nos prévisions économiques montrent que nous retrouverons les niveaux de croissance d'avant le Covid d'ici à la fin de l'année, et non pas à la mi-2022, comme nous l'avions d'abord prévu. Nous ne sommes donc pas en 1929. Pourquoi ? Parce que nous avons fait vite, nous avons vu grand - et nous avons tout fait ensemble ». Le discours d'ouverture de la présidente de la BCE, Christine Lagarde, laisse transparaître un passé plus poétique : la femme politique et ancienne avocate a été diplômée de littérature américaine en 1977, à l'École Supérieure d'Art d'Avignon. Mais derrière cette maîtrise de la rhétorique résident des messages forts : sur la crise économique mondiale, la politique monétaire et l'euro, la monnaie numérique, l'économie verte et, surtout, le leadership au féminin.
Cet enjeu essentiel est apparu dans la discussion après la fin du discours d’ouverture de la deuxième femme la plus puissante du monde. « Les femmes constituent 51 % de la population de l'UE, mais elles ne représentent que 18,5 % des chefs de gouvernement européens et 7,5 % des directeurs généraux des plus grandes entreprises cotées en Europe. Quel serait le meilleur moyen pour faire en sorte que les femmes accèdent à des postes de direction… les quotas ? » a demandé d'emblée l’étudiant et co-animateur du débat Cristobal Santisteban. Avec la franchise qui a caractérisé les 90 minutes d'échange dans l'amphithéâtre Blondeau, Christine Lagarde a admis que sa position sur les quotas avait évolué : « Lorsque je suis devenue associée gérante chez Baker & McKenzie (NDLR, en 1999), j'ai compris que les quotas étaient une nécessité absolue. Sinon, nous allons attendre encore 100 ans », a-t-elle observé. « Les quotas ont aidé quatre pays de la zone euro à atteindre 30% de femmes dans les conseils d'administration et nous avons dépassé ces niveaux en interne à la BCE. » La toute première femme à avoir été ministre des Finances d’un pays du G7 a reconnu qu'il était important d'inspirer d'autres femmes : « Pour être franche, ce n'est pas une question de choix. Mais, en tant qu'ancienne nageuse synchronisée, j'ai appris à sourire. Alors, je serre les dents et j'accepte d'être un modèle pour d’autres femmes. »
Sauver l'Europe du Sud
C'est autour de sa table de cuisine que Christine Lagarde et son équipe de la BCE ont élaboré un plan visant à associer les politiques budgétaires et monétaires dans une lutte sans précédent pour traverser la crise du Covid en Europe. « Nous avons élaboré un double plan pour nous assurer qu'il n'y avait pas de fragmentation, pour garantir que les liquidités circulaient dans le système et pour faire en sorte que les ménages puissent avoir accès aux financements et aux prêts. Cela a déclenché un miracle, qui s'est produit rapidement et à grande échelle. » En conséquence, les familles n’ont perdu que 0,3 % de leur revenu réel, soit sept fois moins que lors de la crise d'après 2008.
Pour Christine Lagarde, l'effondrement de Lehman Brothers en 2008 a permis de tirer des leçons essentielles : « Cela m'a montré que nous n'avions pas le luxe du temps, que nous ne pouvions pas nous permettre de tergiverser et que nous avions besoin de nouveaux objectifs. Cela se reflète dans la manière dont les programmes de la BCE comme SURE ont été structurés. Notre objectif n'était pas de maintenir les entreprises ou les banques à flot, comme en 2008. Nous nous sommes concentrés, et nous nous concentrons toujours, sur les personnes, pour préserver le tissu économique de notre société. » Pour Christine Lagarde, la voie à suivre maintenant est avant tout numérique, et verte : « Pour la première fois, l'Europe joint le geste à la parole. Les 27 membres se sont mis d'accord sur un programme d'emprunt commun de 750 milliards d'euros, en répartissant les ressources en fonction de ceux qui souffrent le plus. L'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Grèce bénéficieront de subventions et de prêts raisonnables. Cette perspective à la fois numérique et verte dictera où ira l’argent. Cela permettra de réduire les inégalités et d'atteindre les objectifs écologiques nous permettant de faire face à des enjeux critiques et inquiétants. »
Succès complet pour le premier "HEC Talks"
En ligne ou physiquement présents, les très nombreux étudiants ont posé à l'ancienne présidente du FMI un si grand nombre de questions que les modérateurs peinaient à les relayer. « Que pensez-vous de l'adhésion de la Bulgarie (à l'UE) en 2024 ? » « La Chine prend-elle un avantage décisif après avoir introduit le yuan numérique en 2020 ? » « La monnaie numérique européenne sonnera-t-elle le glas des banques commerciales dans l’UE ? » Mais la question qui revenait avec persistance était sa position sur les crypto-monnaies. Christine Lagarde a répondu avec un sourire : « Je suis assez critique, et je sais que je vais instantanément être frappée par une vague de "Oh, quelle personne épouvantable !". Mais les crypto-monnaies sont hautement spéculatives, consomment une énorme quantité d'énergie et facilitent des transactions d'une nature très sombre. On ne peut pas prétendre qu'il s'agit d'une monnaie, et nous ne permettrons pas de tromper les clients. »
Après le débat, l’étudiante et co-animatrice Carla Richard était pleinement soulagée. « Ça s'est très bien passé », a reconnu l'actuelle présidente d'HEC Débats. « Christine Lagarde, on ressent sa puissance. Malgré ses responsabilités, on sent aussi sa bienveillance et sa compassion. Si nous avions eu plus de temps, j'aurais aimé savoir comment elle était à notre âge. En tant qu'étudiants, nous sommes confrontés à une telle incertitude, a-t-elle éprouvé la même chose ? » Louis, étudiant en M1, a quant à lui été impressionné par l'engagement de la BCE en faveur du changement climatique. Il a toutefois regretté que Christine Lagarde n'ait pas pu répondre à une question sur les paradis fiscaux : « Je sais que la politique fiscale n'est pas le domaine de la BCE, au sens strict. Mais elle a indiqué qu'ils travaillent sur des programmes monétaires et fiscaux conjoints, donc la fiscalité pourrait bientôt faire partie du mandat de la BCE. »
La présidente de la BCE s’est montrée visiblement satisfaite de sa visite sur le campus. « Ce que j'ai trouvé formidable », a-t-elle confié après la conférence, « c'est la qualité des questions des étudiants. Ils ont manifestement des connaissances sur les questions monétaires et européennes. Et ça les intéresse, c'est fantastique. Cela me donne confiance en notre jeunesse ! »