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#Droit : quatre questions à Christopher Hodges

Le club Droit & Entreprise des Alumni d’HEC a organisé le 27 avril 2018 un séminaire intitulé « Legal Systems for the 21st Century » . Cet échange, qui a duré près de cinq heures, avait pour but d’éclaircir les forces et faiblesses des mécanismes qui régulent le comportement des entreprises. L’intervenant principal de l’événement était Christopher Hodges , professeur de systèmes judiciaires au Wolfson College de l’Université d’Oxford. Il partage avec nous son avis sur le règlement des litiges, la psychologie comportementale et le concept d’équité au sein des systèmes judiciaires du 21ème siècle.

Christopher Hodges

Quelles sont les pratiques que vous suggérez pour améliorer la régulation éthique des entreprises et les pratiques actuelles ?

Christopher Hodges : Il y a selon moi un grand nombre de pratiques qui peuvent changer la culture des entreprises. A la fin de mon dernier livre,  « Ethical Business Practice and Regulation » (co-écrit avec Ruth Steinholtz), nous faisons la liste des éléments de preuve que les entreprises peuvent produire pour montrer qu’elles se comportent d’une manière éthique. Elles sont d’ailleurs en train d’être testées dans différents secteurs industriels. Par exemple, les organisations peuvent réaliser une évaluation culturelle en utilisant le Modèle Barrett. Cela permet une évaluation saine d’une entreprise, afin de mesurer où se trouvent les problèmes et les actions qu’il faudra effectuer.

La question fondamentale ici est le comportement humain, qui s’appuie donc sur l’usage de la psychologie comportementale pour résoudre les problèmes. Comment savoir comment les humains se comportent dans certaines circonstances ? Il faut commencer comme cela, car il est assez inutile de commencer par les théories légales et économiques. Prêtons attention aux preuves scientifiques que l’on peut trouver dans les sciences comportementales.

La discussion finale du séminaire d’aujourd’hui s’est focalisée sur les perspectives légales pour les marchés et la notion d’équité. Pourriez-vous préciser ce dernier point ?

Les biologistes experts de l’évolution nous indiquent que les êtres humains normaux se comportent en fonction d’émotions, d’intuitions et des concepts liés à l’équité. A moins d’être un psychopathe ou un sociopathe, nous voulons tous avoir l’impression de faire ce qui est juste, et nous nous persuadons que c’est ce que nous faisons, même quand ce n’est pas le cas. Les concepts d’impartialité et de réputation devraient donc être précisés et utilisés à bon escient, pour répondre à la question que nous nous posons tous, à la fois individuellement et collectivement : « faisons-nous ce qui est juste, ou bien sommes-nous en train de nous persuader que nous faisons ce qui est juste quand ce n’est pas le cas ? »

Les écoles de commerce au cœur d’une nouvelle culture du « juste »

Vous avez donné l’exemple de l’industrie aéronautique, parlant d’une culture « juste » …

Tout à fait. Le secteur aéronautique mondial et ses résultats spectaculaires en matière de sécurité sont fondés sur une culture ouverte et juste, ce que les avocats appellent une culture « no blame » . Dans ce secteur, tout le monde partage des informations tout le temps, aussi gênantes soient-elles. La pire chose que l’on peut faire est de ne pas avoir été transparent lorsqu’on a fait une erreur. En d’autres termes, vous faites suivre les informations. Autrement, le système ne marche pas et personne n’apprend.

Beaucoup de multinationaux acceptent cette culture, mais le grand public n’est pas conscient de cette évolution. J’ai l’impression qu’il y a eu un virage significatif qui se reflète dans les changements opérés par les écoles de commerce, ces 20 ou 30 dernières années. Les théories de l’entreprise témoignent de cette évolution : on passe de la maximisation de la valeur pour les actionnaires à la maximisation de la valeur des parties prenantes, en intégrant des notions plus larges comme la RSE ou les droits de l’homme. Beaucoup d’entreprises ont ainsi effectué d’importants changements, pas toujours visibles, et elles ne sont pas reconnues pour cela. Par exemple, la santé, les hôpitaux ou les commerçants. Puisqu’ils travaillent avec les gens tous les jours, ils doivent être perçus comme justes par leurs clients, sinon c’est l’échec ! C’est très efficace.

Le modèle d’équité devrait être appliqué à tout le monde, y compris les régulateurs, les ONG et les entreprises. Cela se produit déjà : un grand nombre d’ONG comme Standards bodies appliquent désormais cette démarche.

Certaines ONG et certains médias soulèvent pourtant des questions provocatrices. Cela m’inquiète : la première question, quand quelque chose tourne mal, c’est : « à qui la faute ? » . Les mots sont alors utilisés pour désigner un coupable qui devrait aller en prison, c’est un lynchage médiatique. Cette approche-là est dommageable, parce qu’elle nous empêche d’apprendre. Et elle empêche les régulateurs et les entreprises d’agir ou de parler pour savoir quel est le problème, et ensuite le résoudre. Ce problème pourrait s’avérer beaucoup plus riche si l’on mettait en place une analyse efficace des causes profondes pour aller au-delà des manifestations immédiates du problème. Il n’est pas nécessaire de le résoudre par la culpabilité. Le problème est peut-être, tout simplement, le symptôme de quelque chose d’autre et il faut du temps pour le résoudre… Une telle approche empêche l’apprentissage itératif par essai et erreur, puisque les erreurs ne sont pas tolérées.

Que retiendrez-vous de cet échange une fois rentré à Oxford ?

Mon message est simple : le monde est en train de changer et de très nombreux mécanismes changent simultanément. Il nous faut donc regarder d’une manière très objective les éléments scientifiques des mécanismes que nous avons aujourd’hui, pour savoir quels mécanismes nous devrions avoir. Et ensuite aller au-delà de la traditionnelle pensée théorique, pour considérer de façon très objective les preuves empiriques que nous avons sur la façon dont nous devrions nous comporter.