European Space Talks : les étudiants visent les étoiles
HEC Paris a accueilli en ce début d’automne un des événements les plus marquants de ces dernières années, en présence de trois astronautes de l’Agence spatiale européenne (dont un en direct de l’espace !), de milliers d’étudiants, ainsi que d’entrepreneurs et d’entreprises liées à l’espace. Une soirée conçue comme le point culminant de la campagne 2019 des European Space Talks, initiée par l’ESA.
Christa McAuliffe a dit un jour : « l’espace, c’est pour tout le monde. Pas seulement pour une minorité de scientifiques ou de mathématiciens, ou pour quelques astronautes privilégiés. C’est notre nouvelle frontière, tout le monde doit être bien informé sur l’espace. » L’esprit de l’enseignante et astronaute décédée en 1986 semblait planer au-dessus du hall d’honneur d’HEC le 8 octobre, où 1200 étudiants, professeurs et entrepreneurs s’étaient rassemblés pour écouter Claudie Haigneré, Thomas Pesquet et Luca Parmitano. Claudie Haigneré a retenu l’attention du monde entier il y a 23 ans en devenant la première femme et scientifique civile européenne à aller dans l’espace. Thomas Pesquet a quant à lui passé six mois à bord de la Station spatiale internationale, de novembre 2016 à juin 2017, dont Luca Parmitano est aujourd’hui le commandant.
Ils étaient tous les trois présents (l’astronaute italien par le biais d’une liaison directe avec l’ISS) aux côtés du directeur général de l’ESA Jan Wörner, pour cette soirée au cours de laquelle des étudiants de tout le continent pouvaient échanger sur l’avenir de l’Europe spatiale. La raison ? A l’approche du Conseil des ministres européens Space 19+ prévu au mois de novembre, l’ESA a souhaité savoir ce que la prochaine génération pense du programme spatial européen. « Nous avons besoin de vous pour redynamiser l’exploration spatiale ! » a insisté Jan Wörner. « En novembre, j’aurai l’occasion de parler avec 22 ministres de nos Etats-membres. J’apporterai vos idées à la réunion, au moment où nous recherchons 12,5 milliards d’euros pour financer nos nouveaux projets pour la Lune et Mars. »
Développer la communauté spatiale
Jan Wörner et les trois astronautes partageaient ce soir-là leurs réflexions pour sensibiliser le public au rôle de l’espace dans nos vies quotidiennes, dans le cadre d’une campagne d’une durée de quatre mois organisée par l’ESA, présentée ainsi : « du 21 juin au 31 octobre, les membres de la famille spatiale européenne partageront leur passion pour l’espace lors d’une série de conférences qui présenteront toute l’étendue des sujets liés à l’espace. » Cette initiative coïncide avec le cinquantième anniversaire de l’alunissage d’Apollo 11.
Un des points d’orgue de la campagne était cet échange de deux heures avec des étudiants européens et nord-américains, co-organisé par HEC Paris, l’ESA et ESTACA. Il était précédé d’un forum carrières autour de l’espace, en présence des meilleures entreprises du secteur. Plusieurs centaines d’étudiants ont donc parcouru la galerie nord pour découvrir les différentes opportunités professionnelles, avant de participer à la table-ronde, également diffusée en direct auprès des étudiants de 25 universités en Europe et en Amérique du Nord.
Un nouvel état d’esprit
Reprenant les mots prononcés par Christa McAuliffe il y a 34 ans, l’astronaute française Claudie Haigneré a tenu à souligner la nature interdisciplinaire de l’espace : « il est essentiel d’intégrer les nouvelles manières de penser, les nouvelles idées » confiait-elle avant le début de la conférence-débat. « Dans ce paysage en pleine évolution, marqué par de véritables changements de paradigmes, nous devons travailler avec des établissements d’enseignement comme HEC. Nous devons ouvrir notre communauté spatiale à de nouvelles communautés qui prendront part aux explorations futures, pour mettre en place et faire avancer nos projets. Il est aussi important d’instaurer de bonnes relations entre les étudiants, futurs ingénieurs ou spécialistes du management des systèmes complexes, pour mieux réguler les sociétés et devenir les décideurs de l’avenir. L’espace, » a-t-elle conclu, « implique des enjeux mondiaux, il est donc indispensable que nous puissions identifier tous les talents disponibles. »
Luca Parmitano a ensuite rebondi sur cette notion, au cours de son intervention faite depuis la station spatiale située 400 kilomètres au-dessus de la Terre. L’astronaute de l’ESA participe depuis le 21 juillet dernier à sa deuxième mission spatiale, intitulée « Beyond » et son moral paraissait excellent durant l’échange avec l’audience. « Nous sommes en train de passer au-dessus du Pacifique Sud en direction du nord-ouest, nous serons bientôt au-dessus de l’Europe » a-t-il précisé, avant de faire un saut périlleux en apesanteur. « Les expériences que nous menons en orbite basse vous permettront, vous la prochaine génération, d’aller plus loin. Nous avons besoin de savoir comment intervenir (et survivre) sur la Lune ou sur Mars, cette station est l’environnement idéal pour étudier les différentes possibilités. »
Une expérience impressionnante
Pendant le débat, les astronautes ont réagi aux questions et commentaires faits sur scène par les étudiants Lucas Gigot (ESTACA) et Anaïs Rostand (HEC), ainsi que le directeur de la Communication de l’ESA, Philippe Willekens. « Cette soirée nous a permis une immersion inoubliable au sein d’un secteur dont nous avons tous rêvé, à un moment ou à un autre », s’enthousiasmait Anaïs Rostand après le débat. « La façon dont ces spécialistes de l’espace, sans jamais être superficiels, nous ont rendu leur monde accessible m’a impressionnée. D’une certaine façon ils nous ont lancé un défi : notre génération doit relever les challenges de l’espace sur beaucoup de niveaux : le changement climatique, les débris spatiaux, les coûts, toutes ces questions essentielles ont été discutées »
Marcelle Laliberté, Doyen Associé des Etudiants, a de son côté apprécié l’enthousiasme partagé par tous pendant l’événement : « quelle expérience de pouvoir parler avec l’ISS, » a-t-elle indiqué sur Twitter, « de rencontrer des individus si inspirants, qui nous avouent avec humilité qu’ils sont eux-mêmes inspirés par le dynamisme et les rêves des étudiants ! ».
En parallèle du débat, le public a été invité à participer à un sondage en ligne, dont les résultats étaient projetés en temps réel sur les écrans géants du hall d’honneur. « Les astronautes étaient très attachés à cette approche collaborative, » précise Philippe Willekens après l’événement. « C’est une véritable amélioration par rapport à la précédente édition des Space Talks. L’ESA cherche à susciter l’enthousiasme d’autant d’étudiants que possible, de tous horizons. Si 10% de ceux qui participent l’événement décident de suivre une carrière dans l’industrie spatiale, nous aurons plus qu’atteint notre but. » Les résultats de ce sondage seront analysés et partagés avec les ministres concernés lors du prochain conseil ministériel européen prévu à Séville les 27 et 28 novembre.
Des étudiants passionnés
Plus tôt dans la journée, un forum carrières avait permis d’accueillir à HEC des entreprises réputées du secteur spatial (Airbus, Air Liquide, ArianeGroup, Dassault Aviation, Thales Alenia Space, ESA) et des start-up comme EarthCube et Unistellar. Des anciens diplômés d’HEC étaient également présents, nombre d’entre eux étant actifs dans le secteur depuis longtemps. « Notre association regroupe 1400 membres » a rappelé à cette occasion Thomas Reydellet, président du Club HEC Aérospatial Défense et Sécurité, qui est aussi directeur de la prospective stratégique chez Thales : « nous avons bien plus de diversité aujourd’hui, car le secteur spatial permet la fertilisation croisée avec d’autres secteurs. Les entreprises sont maintenant intéressées par les questions géopolitiques, stratégiques ou marketing, ou d’autres disciplines disruptives. Les préoccupations environnementales se sont développées, comme on le voit par exemple avec le besoin de lanceurs réutilisables ou le sujet de la neutralisation des débris spatiaux ».
Les étudiants, dont 400 sont venus en bus de l’ESTACA, ont attendu patiemment pour en savoir plus sur les offres d’emploi ou de stage disponibles auprès des dix entreprises présentes. Juliette et Julie sont dans leur cinquième et finale année chez IPSA. Elles ont fait part de leurs rêves d’intégrer ce secteur si particulier : « je cherche un stage dans le secteur de l’espace et de la mécanique spatiale. J’espère trouver un poste lié aux défis environnementaux posés par l’espace : 3000 des 4500 satellites en orbite ne sont pas opérationnels, et il y a presque un milliard de débris de taille significative en suspension ! Qu’est-ce qu’on en fait ? »
Les start-up présentes à ce forum carrières ont dans l’ensemble connu une croissance rapide durant les cinq dernières années. « Nous voudrions recruter 15 personnes en 2020, et vraisemblablement 30 en 2021 » indique Laurent Marfisi, PDG d’Unistellar, une société spécialisée dans l’astronomie de pointe, basée à Marseille. « Ils pourront être dans la communication, le marketing, le commercial ou l’ingénierie, mais ils doivent tous partager une passion pour l’espace et l’innovation. » Au stand suivant, Earthcube cherchait pour sa part des étudiants ayant obtenu récemment un double diplôme. « Nous proposons une plate-forme de monitoring qui combine des techniques d’intelligence artificielle liées à la vision par ordinateur et au machine learning, » explique le data scientist Tugdual Ceiller. « Les étudiants présents ici ont exactement le type de profil, international et diversifié, que nous recherchons. »
Tous les participants à cet événement paraissaient finalement faire écho à cet avertissement lancé par Stephen Hawking il y a une vingtaine d’années : « je ne pense pas que l’espèce humaine survivra au prochain millénaire, à moins qu’elle n’aille conquérir l’espace. Trop d'accidents peuvent menacer la vie sur une seule planète. Mais je suis optimiste. Nous saurons atteindre les étoiles. »
Lire aussi : Thomas Pesquet : "Prendre le pouls de la planète"