Face à la pandémie : trois étudiants ivoiriens d’HEC Paris racontent leur confinement
Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, près de 500 étudiants sont restés sur le campus d’HEC Paris à Jouy-en-Josas, où ils ont donc dû respecter les règles officielles de confinement. Ils font partie des 300.000 étudiants étrangers qui fréquentent les cours des universités et grandes écoles françaises. Parmi eux, trois Ivoiriens suivent les cours de première année du Master in Management (MiM) à HEC Paris. Comment vivent-ils la quarantaine imposée depuis le 17 mars ? Quelles conséquences sur leur formation ? Comment font-ils pour maintenir un équilibre entre les périodes de travail et de décompression ? Témoignages.
« Il y a quatre mois, je n’aurais jamais imaginé un tel scénario. » On imagine aisément le désarroi initial d’Elie Kreman. Après deux brillantes années en classes préparatoires commerciales à l’INPHB de Yamoussoukro, puis trois ans à l’Ecole Supérieure de Commerce d’Abidjan (ESCA), il s’apprêtait à passer trois ans au sein du MiM d’HEC Paris. Depuis plusieurs années, les nombreux échanges et projets communs qui lient la Côte d’Ivoire et l’école de commerce ont en effet contribué à élargir la formation des jeunes les plus prometteurs du pays. « J’abordais cette nouvelle année avec enthousiasme », nous raconte-t-il depuis sa chambre située sur le campus. « J’avais pris de nouvelles résolutions, je savais plus ou moins ce que je ferais et où je serais à telle période de l’année. » C’est à ce moment-là que démarre la pandémie du Covid: « la situation s’est malheureusement dégradée très vite, et les choses ont pris une toute autre allure. La fermeture des écoles, puis le confinement général ont été déclarés. HEC a donc dû fermer, tout en décidant de basculer l’ensemble des cours en ligne. »
Des enseignements profondément renouvelés
Le corps professoral s’est alors mobilisé très rapidement : « nous n’avons eu que quelques jours pour transformer notre enseignement », explique Anne Michaut, directrice de la chaire LVMH à HEC Paris. « Il faut se rappeler ce que nous venons de vivre : nous avons travaillé dans un contexte de changement constant, tout en ayant très peu de visibilité sur les décisions à venir pendant cette opération. »
« Notre rôle se transforme quand on commence à enseigner en ligne, » ajoute Kristine de Valck, doyenne associée et directrice du doctorat d'HEC Paris. « Nous ne sommes plus le capitaine de notre navire. Nous devenons la carte qu’utilisent les étudiants pour guider leur apprentissage. Cela veut dire aussi que nos étudiants doivent accepter leur rôle de navigateur, ce qui exige plus de travail. Finie l’expérience agréable qui se limite à permettre au bateau de se laisser guider par les vagues d’un bon cours. »
Une expérience singulière
Pour Bachir Savadogo, une adaptation difficile au départ s’est transformée en expérience riche de nombreux enseignements. Cet ingénieur de l’INP-HB accueille les nouvelles exigences avec sérénité : « globalement, les cours se passent bien. Les professeurs essaient, malgré ces circonstances particulières, d’être disponibles au maximum pour les étudiants. Ce n’est qu’une impression, mais je pense que dans cette nouvelle configuration, on participe davantage aux cours. On n’hésite plus à donner notre avis sur certains points en classe, soit à travers le tchat discussion de l’outil Zoom, ou tout simplement en prenant la parole. »
Son camarade du MiM Désiré Kakou, qui vient aussi de Yamoussoukro, souligne pour sa part la singularité de l’expérience. « Le tableau, la présence des camarades de classe, l’image du prof debout sur l’estrade ne sont plus là pour rappeler qu’on assiste à un cours », explique ce passionné de finance. « Cela demande davantage de flexibilité, mais également un effort de concentration non négligeable. Je le prends comme un exercice d’adaptabilité et je m’aide de quelques petits gestes d’usage (bien m’installer sur mon bureau, m’éloigner de mon téléphone, etc.) »
Trouver l’équilibre
L’adaptation s’accomplit aussi par les gestes du quotidien. L’approvisionnement des étudiants se fait essentiellement grâce au supermarché, qui se trouve à sept minutes à pied. « Au début du confinement, plusieurs marchandises manquaient du fait de la ruée des populations, » souligne Désiré, « mais depuis, le flux s’est régulé et on y trouve presque tout. » Mais le passage au rudimentaire n’est pas toujours facile pour Elie : « nous n’avons hélas plus la possibilité de varier les saveurs ».
Ce qui renforce la pression sur les trois étudiants, ce sont les préoccupations pour leur famille en Côte d’Ivoire. Leur pays natal n’est pas épargné par la pandémie mondiale : il a fermé ses frontières rapidement pour contenir le développement du virus : « connaissant la vitesse de propagation du virus et la qualité du système de santé en Côte d’Ivoire, je reste inquiet et ne cesse de demander à ma famille de faire attention à eux », partage Elie. « Le confinement général serait difficile à mettre en œuvre. Une grande partie de la population travaille dans le secteur informel. Pour ces populations, le confinement serait dramatique, et la situation pourrait déboucher sur une crise sociale. On se retrouverait face au dilemme social du confinement. » Désiré demeure plus optimiste : « je trouve admirable le civisme de la population. J’ai vu des images d’endroits d’habitude très fréquentés, et aujourd’hui complètement vides. Les Ivoiriens ont conscience de la situation et prennent leur destin en main courageusement, avec les sacrifices qui s’imposent. C’est à saluer. »
Les atouts du campus
Malgré les contraintes actuelles, les trois Ivoiriens trouvent de nombreux moyens pour décompresser sur les 134 hectares du campus. Elie et Désiré partagent l’engouement général des étudiants pour le jogging, en particulier sur le parcours menant au lac : « on a une belle vue du paysage, et on peut profiter du beau temps et du soleil qu’il y a ces jours-ci. » Pour Bachir, les cours et les autres préoccupations réduisent le temps de divertissement. « Mais tous les jours, je trouve un moment pour des jeux en ligne. » Il ajoute : « ce qui me permet de tenir sans trop sentir cet éloignement, c’est le fait de me dire qu’au final, à moins qu’un vaccin ou qu’une méthode soit totalement approuvée par les instances, c’est seulement en respectant ces mesures de distanciation sociale et de confinement qu’on pourra venir à bout de ce virus. Je pense également aux personnes qui sont dans des conditions bien pires que la mienne, et cela m’aide beaucoup à relativiser cette situation. »
Elie Kreman prend également courage en relativisant cette épreuve que constitue la quarantaine : « cette situation nous fait réfléchir. Elle nous donne, quoique contre notre gré, l’occasion de méditer sur nos vies, de revoir nos plans et objectifs, et de nous recentrer sur l’essentiel. C’est aussi l’occasion de nous former, de développer des compétences qui nous permettront de répondre aux exigences du monde après le confinement. Je demeure positif et optimiste quant au dénouement de la situation. Cependant, cette crise laissera des traces, et c’est maintenant que nous devons nous y préparer moralement, et intellectuellement. »