#Finance : quatre questions à Augustin Landier
Suite au débat HEC Paris – Viavoice sur l’industrie financière et les nouvelles technologies du 10 avril, Augustin Landier, professeur à HEC, a partagé avec nous sa vision sur le « gap générationnel » entre les managers jeunes et plus expérimentés, la nature pluridisciplinaire de la finance moderne, et le besoin qui s’exprime globalement pour avoir davantage de diplômés en finance.
Vous encouragez les dirigeants d’entreprise à fournir des prévisions à long terme sur la rentabilité de leurs entreprises, sur l’investissement, la R&D… Mais nous avons vu que même les plus grandes entreprises comme Facebook ou Marks & Spencer peuvent avoir à faire face à des tournants dramatiques, du jour au lendemain. Cela ne rend-il pas les visions à long terme un peu risquées ?
Augustin Landier : Les inquiétudes vis-à-vis de grands risques tels que les chocs réglementaires devraient en effet faire partie de la planification à long terme des entreprises. L’histoire de Volkswagen en est un rappel. Nous l’avons également vu au tournant du siècle avec Enron, une marque globale qui a disparu subitement parce qu’elle s’est retrouvée mêlée à un énorme scandale lié à sa société d’audit, Arthur Andersen. Les activités courantes de tous les prévisionnistes sont d’essayer d’évaluer les risques de perte extrême, de voir les signes avant-coureurs d’événements extrêmes qui pourraient survenir, et d’en avertir l’industrie financière. C’est pour cela que les scores ESG deviennent assez populaires en ce moment dans l’analyse financière : les gens sont prêts à investir pour trouver les moyens d’évaluer de grands chocs négatifs, ce que l’on appelle « les risques de perte extrême ».
Le sondage Viavoice sur la probabilité d’une nouvelle crise financière similaire à celle de 2008 a révélé un fossé générationnel parmi les dirigeants. La génération des plus de 40 ans serait beaucoup plus pessimiste que celle des moins de 40 ans (66% contre 23%). Votre réaction ?
Les plus jeunes n’ont pas vécu la crise Lehman Brothers à titre professionnel : ils sont donc plus optimistes. Aujourd’hui, les banques sont mieux capitalisées. D’autres crises surviendront néanmoins, probablement pas du même genre, et il est important de garder cela en tête. Il serait naïf de croire que le marché boursier n’opérera pas une forme de correction. Avec la politique monétaire qui se resserre, il est possible que les marchés boursiers finissent par baisser. Mais il est improbable que cela ait un effet systémique comme la crise bancaire.
Nous avons vu arriver de nouvelles disciplines dans l’enseignement de la finance, comme la psychologie comportementale par exemple. Voyez-vous apparaître des débats entre les partisans d’un enseignement en finance plus classique et traditionnel, et ceux qui empruntent ces nouvelles voies ?
Mais les deux sont complémentaires ! Par exemple, les gens qui veulent travailler pour des hedge funds cherchent des stratégistes, qui doivent fonder leur travail sur des anomalies qui, finalement, sont liées à la psychologie. Donc, en fait, ils se rejoignent. L’année prochaine, je commencerai un nouveau cours sur la finance comportementale. Les gens sont naturellement très intéressés par ce sujet : il est en effet amusant de relier les marchés financiers à la psychologie, cela donne à ce domaine une saveur très intuitive et concrète.
Pierre-Emmanuel Juillard a dit que la France a une forte tradition d’ingénieurs diplômés de haut niveau, dont les compétences sont idéalement adaptées à l’industrie financière, mais qu’il n’y en a tout simplement pas assez qui sortent de ses écoles. Pourquoi, à votre avis ?
Je ne me prononcerais pas pour le reste, mais je pense qu’HEC Paris bénéficie d’une position très forte dans ce domaine. Nous avons par exemple mis en place récemment, en partenariat avec Polytechnique, un Master spécialisé sur la data science, le MSc Data Science for Business. Par ailleurs, de plus en plus de programmes incluent ces compétences autour de l’analyse des données dans leurs enseignements. Python ou R sont devenus le nouvel Excel ! Les étudiants s’habituent à traiter les données, cela fait désormais partie de ce qu’un bon généraliste devrait pouvoir faire, ce n’est même plus considéré comme une compétence spécialisée. Il s’agit simplement d’être capable de regarder les données, de visualiser les données et d’en retirer un sens concret.
Il y a 30 ans, être une star en Excel vous aurait donné un avantage concurrentiel dans une banque d’investissement. Aujourd’hui, il s’agit plutôt d’avoir des connaissances de base sur la façon de visualiser les données et de savoir faire un peu de statistiques et d’analyses de régression. On voit là une tendance dont je me réjouis, parce que cela devrait faire partie de ce qu’un généraliste peut faire, et pas seulement le domaine réservé à des ingénieurs spécialisés. J’attends avec impatience le jour où on pourra voir des dirigeants d’entreprise discuter plus rationnellement des données, en comparaison avec ce qu’ils font actuellement. On dépend aujourd’hui largement de données objectives et de l’intuition. L’intuition est bonne mais doit être renforcée par les données. Ce qui est beau aujourd’hui, c’est que nous voyons apparaître tous ces outils qui nous aident à visualiser les données et qui nous permettent de les explorer. Il n’est plus nécessaire que cela soit laid et ennuyeux, cela peut au contraire créer des outils qui nous permettront de voir ce qui était invisible avant. Et c’est une vraie révolution.