François Hollande à HEC Paris : être « utile aux autres »
« Crise de la représentation, gilets jaunes, affaiblissement des élus et des corps intermédiaires… : la démocratie paraît en danger dans notre pays. » Par ces mots, François Hollande cite les raisons qui l’ont poussé à écrire son dernier ouvrage, « Répondre à la crise démocratique » (éd. Fayard). Invité par les étudiants d’HEC Débats, l’ancien président de la République est venu, le 3 décembre dernier, défendre ses propositions devant 400 étudiants, sur le campus d’HEC à Jouy-en-Josas. Après cet échange de près de deux heures, François Hollande a accordé un entretien exclusif aux journalistes d’HEC Paris et de KIP.
Par deux fois pendant votre intervention, vous avez jugé « bien sages » les étudiants venus vous écouter ce soir. Sont-ils si différents de ceux que vous avez pu côtoyer lors de vos études ici, dans les années 70 ?
François Hollande : A cette époque, nous étions moins sages. Pourquoi ? Sans doute parce que nous étions plus impatients. Nous étions aussi des enfants gâtés, nous avions connu la croissance, le développement, la facilité. Personne ne s’inquiétait pour l’emploi qu’il allait occuper, ou la carrière qu’il allait faire. C’était une forme d’insouciance, mais nous étions aussi engagés sur des causes politiques, ou des causes sociales et culturelles. C’était une période d’effervescence.
Aujourd’hui, il y a de la sagesse en effet chez les étudiants, mais aussi de la lucidité. Le monde dans lequel les étudiants vivent aujourd’hui est quand même un monde dur. Dur en raison des risques climatiques, dur à cause de la compétition, dur dans la manière de réussir sa vie… Donc je comprends cette sagesse, c’est une forme non pas de sérénité, mais de volonté de pouvoir prendre sa place.
S’ouvrir aux autres
Au travers de votre fondation La France s’engage, vous soutenez l’association d’aide à l’insertion des réfugiés Wintegreat, dans laquelle HEC s’est également engagée. Comment voyez-vous la place du migrant aujourd’hui, compte tenu du climat politique actuel ?
Comme président, j’ai dû assumer et affronter une montée de l’immigration, liée essentiellement à la situation des réfugiés qui venaient de la Turquie et du Moyen-Orient. Ils aspiraient à trouver la paix, et aussi un accueil. Cela a été difficile à organiser au niveau européen, et j’ai vu ce que pouvaient être les divisions de l’Union européenne, malgré ses valeurs. On voit bien que les populistes se sont installés, et ont utilisé la détresse humaine pour activer les peurs. C’est encore ce qui se passe aujourd’hui, où il y a pourtant moins d’immigration, moins de demandes d’asile à l’échelle de l’Europe, même si la France est toujours sollicitée.
Il faut bien prendre conscience que nous avons un devoir vis-à-vis de l’asile. Et quand je vois par ailleurs ce que l’on a pu faire au niveau de l’accueil et de l’insertion, ce que sont devenus bon nombre des réfugiés que l’on a reçus ici, je m’en réjouis ; ils sont maintenant au service de la France, et même parmi les plus dynamiques, à vouloir apprendre le français, comprendre la société dans laquelle ils vont vivre, et maintenant ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Donc, ne regardons pas toujours cette question des migrations comme si c’était un risque, mais aussi comme une opportunité, dès lors que les personnes sont dans un certain état d’esprit. Mais c’est à nous d’y veiller.
Dans les crises que vous évoquez dans « Répondre à la crise démocratique », quel rôle doivent avoir les étudiants des universités, ou des écoles comme HEC ? Vous demandez un vaste effort de cohésion et de solidarité pour lutter contre les inégalités.
Il ne faut pas culpabiliser les étudiants ici, les dénoncer ou les accuser. Je ne crois pas qu’il y ait une oligarchie qui veillerait à protéger ses privilèges. Mais je pense aussi que ces jeunes qui sont dans les Grandes Ecoles ont une dette à l’égard de la Nation, et notamment des plus fragiles, ceux qui n’ont pas eu la possibilité de voir leurs enfants aller jusque-là. Car cela reste malgré tout difficile d’accès, on voit la reproduction sociale. Il s’agit donc de dire à ces étudiants : « maintenant donnez une partie de votre temps, de vos compétences pour faire que le pays puisse avoir confiance ». La crise démocratique ce n’est pas la crise des élites, c’est la crise du peuple qui pense qu’il n’a plus de place, plus la possibilité d’accéder au sommet. Ceux qui sont dans la situation d’être dans les Grandes Ecoles – et je ne les blâme pas, je les félicite, car ils ont réussi un parcours difficile – ils doivent maintenant montrer qu’ils peuvent aussi donner, offrir et partager.
Une diplomatie plus partagée ?
Nous sommes dans une école qui regroupe des étudiants venant de plus de 110 pays différents. Dans votre livre, vous avez été très sévère vis-à-vis de la politique étrangère de Donald Trump, qui paraît bien éloignée de cette mixité. Dans la « cinquième République bis » que vous évoquez dans votre livre, quel rôle pourra jouer le président français en matière de politique étrangère ?
Il doit être complètement impliqué dans la politique étrangère, autant qu’aujourd’hui. Mais il travaillera aussi en s’appuyant davantage sur le Parlement. Dans la diplomatie, le président ne doit pas agir seul, c’est un acte partagé, il faut que finalement tous ceux qui ont une parcelle de responsabilité puissent aussi jouer leur rôle. Aux Etats-Unis, par exemple, les commissions parlementaires jouent un rôle dans la politique internationale. En France, on a tendance à penser que seul le président a cette capacité. Il faut qu’il garde le pouvoir de décision, mais il faut aussi qu’il mobilise autour de causes comme la planète, les questions du Proche et du Moyen-Orient, l’Afrique ou le développement. Il faut qu’il mobilise l’ensemble du pouvoir pour que la France existe, et ne fasse pas que parler (sourires).
Une nouvelle vie
Après avoir quitté l’Elysée, vous avez pris la présidence de la fondation La France s’engage. Vous enchaînez les déplacements à travers le pays pour découvrir et promouvoir des associations, des écoles, des start-up innovantes. Concrètement, qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette nouvelle vie ?
On ne peut pas rester président toute sa vie, même si on souhaiterait que cela puisse durer. Il y a des rendez-vous démocratiques à respecter, mais à un moment donné il faut imaginer une vie qui peut être utile aux autres et qui n’est pas nécessairement l'exercice du pouvoir. J’ai donc monté cette fondation. A présent, elle est installée grâce à l’apport des entreprises (BNP, La Poste, Total, et d’autres). Cela permet à la fondation de financer des innovations sociales. Ces innovations permettent de changer les modes de vies de beaucoup de citoyens, soit parce qu’elles changent le rapport que l’on peut avoir à un service pour l’insertion, ou la vie en commun, ou pour lutter contre l’isolement. Je fais des appels à projets et nous recevons à peu près 500 candidatures, pour en retenir une quinzaine. Je les accompagne en les soutenant avec des aides, des financements pour qu’elles puissent se démultiplier sur le terrain.
Vous vous définissez comme un entrepreneur social : est-ce un moyen pour vous de servir l'intérêt général ?
Oui. D’abord, en politique on est déjà un entrepreneur. J’ai été maire, j’ai été président de conseil général, j’ai été président. Finalement, c’est une entreprise, une entreprise d’intérêt général. La France est aussi une vaste entreprise qui rend des services, qui doit répondre à des critères de bonne gestion, mais aussi d’utilité sociale. Sinon, la politique perd son sens. Aujourd’hui, j’essaye d’être un facilitateur pour des entrepreneurs sociaux. Je n’ai pas la vocation moi-même d’être un entrepreneur, mais j’ai ce devoir de faire en sorte que des personnes qui veulent (ou ont déjà entrepris) un projet puissent aller jusqu’au bout de leurs démarches et changer des vies.