L'échec, le design thinking et le hacking sont-ils des facteurs d'innovation pour les entreprises ?
L'observatoire indépendant Netexplo a organisé le 16 décembre 2016 une conférence sur la nécessité d'innover dans l'innovation. Mais comment cerner ce sujet complexe? Doit-on promouvoir le droit à l'erreur, encourager la démarche du hacking, faire la part belle à l'intuition par le "Design Thinking" ou révolutionner l'innovation par la philanthropie « disruptive » (perturbatrice) ? Des philosophes, journalistes, sociologues, chefs d'entreprises et professeurs étaient réunis pour en débattre à l'Hotel Potocki de la Chambre de Commerce et de l'Industrie de Paris Ile-de-France, en partenariat avec HEC Paris.
"L'innovation est toujours restée en marge, aujourd'hui, elle évolue au coeur même de l'industrie" martelle Alexandre Tissot, directeur des programmes de Netexplo. Parmi les processus d'innovation, le design thinking suscite beaucoup d'engouement mais en quoi consiste-t-il réellement? Pour Alexandre Tissot, intuition et intention sont au cœur de cette approche. "Oui, l'émotion a sa place dans l'entreprise", ajoute-t-il. Uber ou AirBnB sont des innovations qui ont été conçues en design thinking; où "l'expérience collaborateur est aussi importante que l'expérience client".
Le droit à l'erreur
Le philosophe Charles Pépin a converti sa fascination pour "les vertus de l'échec" en une sorte de performance artistique, publiant cette année un livre éponyme, Les vertus de l'échec (Allary Editions). L'ancien étudiant d'HEC a captivé le public en illustrant son propos d'examples en ce sens, rappelant les parcours de personnalités telles Raphael Nadal, Charles Darwin, Miles Davis ou Charles De Gaulle : "Ces gens ont transcendé leurs échecs... L'échec leur a fourni les arguments pour les convaincre de changer de cap! Ainsi Serges Gainsbourg ne devait-il pas devenir peintre, ni Darwin médecin ? Pépin poursuit: "C'est dans l'échec que l'on doit agir, écrivait Sartre". Et il arrive que c'est votre inconscient qui remporte une bataille. Nous avons besoin de gens créatifs. Mais parfois leur créativité nait de l'échec. "L'échec est une forme de résistance, la question est comment la surmonter. C'est en l'acceptant que l'on grandit".
Laurent Maruani qui intervenait sur le thème "Le droit à l'erreur", souligne la part de modestie dans les échanges de la matinée : "regardez, par exemple, ces appels à l'innovation par le biais de l'erreur créative. Le droit à l'erreur peut mener à l'audace, la remise en cause et la prise de risque. J'ai pu constater que les orateurs présents encourageaient fortement les entreprises à de tels élans. Mais ils ont aussi dénoncé le facteur peur qui freine l'innovation, particulièrement chez les entreprises institutionnelles, ici, en France – d'où l'émergence d'une multitude de start-ups, signe de dissidence face à la pensée conservatrice."
Ch-ch-changes
Les organisateurs avaient parsemé les salons de l'Hôtel Potocki de proverbes sur le changement, de citations de David Bowie, Gandhi ou Socrate. Ils auraient pu y ajouter cette phrase de l'homme politique chinois, devenu Premier Ministre, Li Keqiang: "Les changements appellent à l'innovation, et l'innovation mène au progrès. La nécessité d'associer au changement la perspective d'un progrès qualitatif est devenue une urgence de premier ordre," comme rappelé par le sociologue Bernard Cathelat.
L'expert en "modes de vie" a délivré un message d'alarme plutôt sombre pour clore cette demi-journée de débats : "Nous entrons dans une décennie d'hyper-conservatisme et nous devons inventer une nouvelle philosophie de l'innovation. La créativité doit être plus "perturbatrice". "C'est la seule façon de pouvoir porter atteinte aux dinosaures qui dirigent les multinationales et les majors", ajoute le chercheur à la barbe blanche.
Cathelat a lancé quelques mots-clés comme sujets de réflexion : low-tech, usage, écologie, psychologie, pertinence, révolutionnaire, responsabilité civile, et ainsi de suite. Il a confié que notre époque lui rappelait les années 70. "Il y avait peu de place pour l'innovation, en ce temps-là", affirme-t-il. "On n'est pas assez révolutionnaires, par les temps qui courent. Apple n'a formulé essentiellement que deux révolutions, par son ordinateur personnel et son smartphone. Par la suite, il n'a fait que copier ses modèles et mettre l'accent sur le marketing. Le processus de rupture et de révolution est donc nécessaire, qu'il en déplaise aux dinosaures." Et il a invité les acteurs de l'innovation à rendre leurs produits plus "digestes" pour les populations si diverses de notre planète.
Depuis 6 ans l'observatoire Netexplo étudie, en partenariat avec la CCI Paris Ile-de-France et HEC Paris, la transformation digitale des entreprises françaises à travers les rendez-vous Netexplo change. Ces moments de réflexions entre experts, milieux académiques et professionnels sont ponctués chaque année par le remise des prix Netexplo Change qui distinguent les initiatives numériques les plus innovantes des grandes entreprises dans les domaines du marketing, de la relation client, de l’innovation produit et service, et celui du management, des ressources humaines et de la responsabilité sociale et environnementale. En juin 2016, c'est l'application Alfred de Nexity qui avait été élue Grand Prix Netexplo Change 2016.