L'investissement à impact : passer des promesses aux actes
Le Centre Society & Organizations (S&O) et l’European Venture Philanthropy Association (EPVA) ont rejoint l’association Action Tank Entreprise et Pauvreté pour une plénière axée sur l’investissement à impact. Cette soirée de débats et d’échanges a eu lieu le 10 octobre dernier au siège de La Banque Postale.
Cette thématique semble promettre du rendement financier comme de l’impact. Mais comment peut-elle occuper l’espace qui sépare toujours l’investissement classique des activités philanthropiques ? Et comment les entreprises s’engagent dans la création de la valeur sociétale, qui dégage aussi de la valeur pour l’économie ? Deux questions que Jacques Berger a posé lors de cette plénière. Cet ancien de Braxton Associates et de Boston Consulting Group dirige l’Action Tank depuis sa création en 2010.
Quel bilan tirez-vous de cette plénière ?
Jacques Berger : Avant tout, j’ai été heureux de voir que nous avons fait salle comble et que les interventions étaient riches. Pour moi, l’investissement à impact est avant tout un mouvement qui soulève beaucoup d’espoir, presque chimérique, au sens étymologique du mot. La chimère, dans la Grèce antique, était un animal constitué de morceaux : un morceau d’antilope, un morceau de cheval… L’investissement à impact est lui aussi une sorte de chimère : on prend un peu d’investissement commercial, un peu de philanthropie et on en fait quelque chose de génial.
La question d’aujourd’hui était de savoir si l’investissement à impact ne promet pas trop. Que peut-il vraiment apporter ? C’était le sujet un peu sensible du débat : remettre en cause cet engagement que nous trouvons autour de l’investissement à impact. Comme Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois Gentilhomme , les dirigeants d’entreprises découvrent qu’ils pratiquent l’investissement à impact alors qu’ils ne le savaient même pas.
D’où votre choix judicieux de commencer la plénière avec l’intervention du professeur associé d’HEC, Afshin Mehrpouya. Il a exposé le fait que l’investissement à impact est devenu une forme de mot-valise et a perdu beaucoup de sa superbe…
Je ne serais pas à l’Action Tank depuis huit ans si je croyais que l’économie est uniquement au service d’un tout petit nombre, plutôt qu’au service du plus grand nombre. Je fais donc partie de ceux qui mettent beaucoup d’espoir dans l’investissement à impact.
Je pense simplement que trop de lumière peut effacer les contrastes. Aujourd’hui, nous manquons de contrastes dans le monde de l’investissement à impact. Cela empêche de se poser de nombreuses questions : « Est-ce que je suis plutôt dans le social, ou plutôt dans l’environnement ? Quel est la nature de l’impact que je recherche ? Quelle est la relation profonde entre le financier et le social ? ». Toutes ces équations doivent être écrites. Cela prend du temps, et ce n’est pas étonnant. On a mis des siècles pour l’investissement commercial, on peut prendre quelques années pour l’investissement à impact.
Pendant cette journée de débats, Martin Hirsch, co-président de l’Action Tank, a évoqué le développement d’un de vos programmes phares, le Programme Malin, qui prend désormais une envergure nationale. Nous voyons aussi que le gouvernement a intégré l’Action Tank comme « un partenaire important » dans son plan de lutte contre la pauvreté. Comment cette notoriété grandissante en France se ressent dans votre association ?
Ça ne nous fait pas de mal. Dans un des volets de son plan contre la pauvreté, le gouvernement prévoit d’apporter au Programme Malin des moyens non pas financiers mais des moyens opérationnels, afin de toucher des dizaines de milliers d’enfants, là où on ne touche que des milliers aujourd’hui. C’est donc un changement d’échelle considérable. C’est aussi une contribution intelligente de l’Etat, car il ne nous donne pas d’argent, mais nous donne accès aux fichiers des Caisses d’Allocations Familiales (CAF). Nous avons travaillé sur leurs fichiers depuis quelques années, nous sommes en mesure d’en faire le meilleur usage possible.
La seule réserve est qu’il va falloir maintenant mettre tout ça en musique. Cette promesse de changement d’échelle et ce soutien par la puissance publique de notre programme est évidemment spectaculaire sur le papier. Il faut que l’on sache le traduire. Nous avons évoqué dans un de nos programmes la création d’une société commerciale pour porter ce changement d’échelle, dans l’année qui vient. Elle va porter le modèle économique que l’on a expérimenté le plus haut possible, en termes de taille et d’autofinancement. Nous devons prouver que nous avons trouvé des modèles qui n’ont pas besoin d’être réalimentés en permanence pour fonctionner et grossir.
L’Action Tank s’est aussi ouverte sur l’étranger…
Oui, mais nous avons déjà beaucoup de travail ici en France. Relâcher nos efforts en France à l’heure actuelle serait une absurdité. Nos programmes à l’étranger ne doivent pas se faire au détriment des projets français.
Au Brésil et en Inde, nous sommes portés par des structures amies, pour partager nos expériences, car ils sont intéressés par le modèle Action Tank. Cette internationalisation du modèle est déployée par le Yunus Social Business Centre qui l’a adapté au contexte. Au Sénégal, nous explorons toutes les pistes.
Encore une fois, cependant, nous sommes très attentifs à ne pas devenir une organisation qui accumule les projets sans en terminer un.
Quel est l’apport d’HEC Paris et du Centre S&O à vos projets ?
Il est décisif sur au moins un projet, le programme Malin avec le travail de Marieke Huysentruyt et Rodolphe Durand. Nous sommes encore au début de nos collaborations. Au fond, on a une équipe qui est en train de se constituer. Les champs que doivent couvrir les chercheurs du Centre S&O sont très loin des sujets académiques « classiques ». C’est donc un vrai défi de trouver des chercheurs qui peuvent bâtir leur carrière autour de sujets comme les nôtres. Mais je suis persuadé que Rodolphe a créé un élan et une masse critique pour répondre à ces défis. Je suis convaincu que le meilleur est à venir.