La conférence D-TEA met l’accent sur l’économie comportementale dans la prise de décision
L’édition 2018 de la conférence annuelle D-TEA d’HEC Paris a regroupé des chercheurs de niveau mondial autour du thème suivant : « Les modes de prise de décision ». Près d’une centaine de personnes ont assisté à l’événement organisé du 23 au 25 mai 2018 par l’équipe d’HEC spécialisée en sciences de la décision. Les trois jours d’échanges ont permis de lier la théorie à la pratique sur plusieurs questions économiques pour lesquelles la façon dont les personnes pensent, notamment en ce qui concerne l’incertitude, est importante.
Derrière le titre apparemment simple donné à la conférence D-TEA 2018 se cachait un véritable labyrinthe de recherches innovantes, remarquables pour leur ampleur et leur profondeur. Pendant ces trois jours organisés à l’Institut Henri-Poincaré, au cœur de Paris, les participants ont exploré les éléments qui composent la prise de décision, comme les démarches routinières ou au contraire délibérées, les approches probabilistes ou non-probabilistes, les décisions fondées sur des règles ou des cas existants.... « En tant que co-organisateur cette année, je suis vraiment enchanté de la variété incroyable des recherches présentées ici, » indiquait une des stars de l’édition de D-TEA de 2017, Rida Laraki, professeur à l’Université Paris-Dauphine. « Il faut vraiment s’immerger dans les présentations à chaque fois, en examinant la diversité des approches, avant de se confronter aux découvertes et aux conclusions du chercheur. »
D’une certaine façon, la conférence et ses 36 présentations ont mis en lumière les différences entre les approches traditionnelles et contemporaines de la recherche sur les modes de prise de décision. « L’économie traditionnelle décrit la prise de décision comme le fait d’avoir un ensemble d’options possibles et de vouloir choisir celle qui vous rend le plus heureux, » a expliqué le co-organisateur de D-TEA et doctorant en troisième année à HEC Paris Fan Wang. « Mais il y a d’autres façons de prendre des décisions qui sont éloignées de cette approche. Tout simplement parce qu’il est extrêmement complexe de mesurer la notion de « plus heureux ». L’économiste Herbert Simon a étudié les alternatives pendant des décennies et a inventé cette théorie du « satisficing », une combinaison des mots anglais « satisfy » et « suffice ». Herbert Simon voulait simplifier les décisions quand vous faites face à beaucoup de complexité. C’est une forme de recherche plus contemporaine. »
De l’excès de confiance aux menteurs distraits : les nombreux modes de prise de décision
Explorer cette question est devenu de plus en plus populaire dans les cercles académiques, comme en témoigne l’augmentation du nombre de 60% de papiers proposés à la conférence cette année, comparativement au D-TEA de 2017. « L’intérêt a été très élevé et les thèmes abordés ici sont enrichis par l’importance croissante de l’économie comportementale dans ce domaine, » a admis Itzhak Gilboa, le chercheur d’HEC qui est au cœur de la conférence D-TEA. « Par le passé, les économistes ont mis les individus dans une boîte noire et ont rejeté la psychologie. Mais la prise de décision incorpore la psychologie comportementale dans l’économie. Et elle fait surgir toutes sortes de questions : d’où viennent les croyances ? Comment surgissent-elles ? Je travaille sur des questions de ce type depuis 1995. »
Pendant la conférence, Itzhak Gilboa a en effet présenté un papier en ligne avec ces réflexions, qui concerne l’élection de Barack Obama et soutient que, depuis l’élection présidentielle de 2008, la couleur de peau n’est plus un critère d’importance. Le spécialiste mondial de la décision dans l’incertitude a indiqué que cet exemple démontre que les gens non seulement apprennent du passé, mais qu’ils apprennent à apprendre de celui-ci. « La présentation d’Itzhak était une formalisation de la façon dont les gens formulent un jugement sur la pertinence des différents cas, » a expliqué Fan Wang qui travaille dans ce domaine avec lui, « et quelles caractéristiques sont plus importantes que les autres. »
D’autres moments ont marqué la conférence : l’analyse biologique de la prise de décision par Aldo Rustichini, les enquêtes du professeur à HEC Brian Hill sur les façons de se décider face à l’incertitude, les recherches d’Anisa Shyti, (diplômé d’HEC en 2014) sur l’excès de confiance et son rôle incitatif vis-à vis de business plus risqués, Ariel Rubinstein et son point de vue sur le raisonnement multidimensionnel dans les jeux, Philippe Jehiel avec son papier au titre intrigant « Communications with Forgetful Liars » , ou encore Anna Rubinchik qui a partagé son travail sur l’apprentissage par les animaux de ce qu’elle nomme une « tâche multidimensionnelle de discrimination ».
Dans son dernier papier, Anna Rubinchik a immédiatement averti le public : « Nous avons utilisé un modèle très simple avec un rat dans un labyrinthe – mais les situations dans la vie réelle sont beaucoup plus complexes, avec des facteurs de contingence comme la subjectivité, par exemple. Alors, » a-t-elle ajouté en souriant, « nous préférons revenir à la sécurité d’un modèle basé sur un rat confronté à des choix simples, guidé avant tout par une odeur ou une lumière. » Simple en apparence, mais les conclusions sont d’une grande portée : « nous offrons un moyen d’identifier les biais dans les décisions. Nous arrivons aussi à la conclusion que prêter attention à une dimension particulière du problème peut empêcher d’identifier les moyens de réussir dans un nouvel environnement. »
D-TEA 2019 en ligne de mire
L’accent mis cette année sur les modes de prise de décision n’a certainement pas compromis le succès de cette conférence D-TEA, qui s’est tenue dans l’amphithéâtre Hermite de l’Institut Henri-Poincaré. « C’est la première fois que j’y participe, » avouait Jianying Qiu, professeur associé à l’Université de Radboud, « et c’est clairement à la hauteur de sa réputation, une des trois meilleures conférences du monde sur la science des décisions. » Pour la chercheuse à l’Université de Grenoble, Ani Guerdijkova : « c’est une conférence formidable, à la fois pour sa profondeur et sa diversité. Vous avez le dynamisme de figures académiques, comme Larry Samuelson qui présente ses dernières recherches à propos du raisonnement basé sur des modèles, mais on peut aussi y entendre les explorations de jeunes doctorants comme Nuttaporn Rochanahastin , qui a partagé son travail sur l’évaluation des axiomes de théories d’attention limitée. Cela contribue à faire chaque année de cette réunion un des hauts lieux de réflexion en science des décisions. » Ani Guerdijkova dirigera d’ailleurs une table-ronde sur l’ambiguïté dans les interactions dynamiques lors d’un autre événement très prestigieux à la fin du mois de juin, la FUR Conference (Foundations of Utility and Risk Conference).
Le thème retenu pour le D-TEA de l’année prochaine a déjà été choisi et va probablement attirer de très nombreux experts académiques de renommée mondiale. « Ce sera le 80e anniversaire de David Schmeidler , et nous avons donc décidé de nous concentrer sur les décisions et l’incertitude, » a confié Fan Wang. Le mathématicien et théoricien économique David Schmeidler a apporté des avancées essentielles dans ce domaine, y compris sur les théories de Choquet de maximisation d’utilité espérée et d’utilité espérée maxmin. Ce dernier concept a été développé par Itzhak Gilboa, qui était à l’origine un doctorant de Schmeidler. L’équipe d’HEC en sciences de la décision comprend d’autres chercheurs renommés travaillant sur des thèmes similaires, notamment Mohammed Abdellaoui, qui a s’est créé une réputation mondiale avec son travail sur les sciences de la décision.
Une fois encore, la conférence devrait souligner le caractère multidisciplinaire, complexe et trop souvent ignoré de cette science des données qui fait aujourd’hui une percée significative dans le domaine économique.