Thomas Pesquet : "Prendre le pouls de la planète"
Thomas Pesquet, astronaute auprès de l'Agence spatiale européenne (ESA), a participé le 8 octobre dernier aux European Space Talks, organisés par HEC, l'ESA et l'ESTACA, pour communiquer sa passion de l’espace avec plus de 1 200 étudiants. Avant cet échange-marathon, il a partagé sa vision de l'espace avec nous.
Quelles possibilités peut offrir l'espace aux étudiants du 21ème siècle ?
Thomas Pesquet : Les possibilités sont incroyables. Elles reflètent l’étendue des activités de l’ESA. On oublie parfois à quel point l'espace fait partie de notre vie quotidienne. Cela commence par des applications ordinaires, comme la navigation par satellite, les prévisions météorologiques, les outils de communication… Mais il y a aussi des domaines plus fondamentaux, et peut-être plus éloignés. Regardez par exemple les observations de la Terre faites depuis l'espace : en prenant du recul et en lançant des satellites, nous pouvons accéder à une masse considérable de données fondamentales. Elles nous permettent de tirer des conclusions l'état général de la planète et de son environnement. Les changements climatiques peuvent être mesurés à partir de l'espace. C'est donc extrêmement important et c'est une part importante de ce que nous faisons à l'ESA. Nous regardons la Terre, nous prenons son pouls et évaluons toutes les données que nous pouvons recueillir.
Enfin et surtout, nous explorons. Nous allons là où personne n'est allé auparavant, pas seulement pour planter un drapeau mais aussi pour répondre à des questions philosophiques : par exemple, d'où vient la vie ? Personne ne peut répondre à cette question pour le moment. Nous connaissons les ingrédients, bien sûr, mais comment ces ingrédients sont-ils arrivés ici à l’origine ? Personne ne le sait. Nous cherchons aussi à savoir si la Terre pourrait perdre son atmosphère ou son eau. C'est ce qui est arrivé à Mars, qui ressemblait beaucoup à la Terre initialement. Aujourd’hui c'est un désert aride. Autant de questions auxquelles nous essayons de répondre en allant de plus en plus loin dans l'espace. Et les étudiants peuvent jouent un rôle majeur dans cette mission.
Comment les étudiants d’HEC pourraient contribuer à cette aventure ?
Ils peuvent y contribuer de façon déterminante. L’espace n'est pas un sujet réservé aux seuls ingénieurs. On croit à tort qu'il n'y a que des travaux d'ingénierie et de science pure dans le domaine spatial. Mais ce n’est pas le cas ! On trouve toutes sortes de métiers, à l'ESA ou dans le secteur spatial en général. Airbus, Thales, ou d'autres sociétés de ce type figurent toujours en tête de liste des entreprises préférées des étudiants. Nous avons besoin de tout le monde. Prenons l'exemple du droit de l'espace : lorsque nous nous installerons sur la Lune, de nombreuses nations, très différentes, seront impliquées. Comment arbitrer leurs différends ? Nous n’en avons pas encore conscience, mais nous devrons certainement créer des règlements et des lois pour gérer tout ça. Il y a donc toutes sortes d'activités pour lesquelles les étudiants comme ceux d'HEC seront essentiels. C'est pourquoi j'aime tant l'espace, il implique chacun d’entre nous pour tenter de forger le nouveau monde dont nous rêvons toutes et tous.
C'est aujourd'hui l'un des moments forts des European Space Talks, un programme de quatre mois créé par l'ESA. 2019 marque aussi l’anniversaire de l'alunissage d'Apollo 11, il y a 50 ans. Comment l'espace a-t-il évolué, selon vous, depuis cette date ?
Nous avons pu voir récemment des avancées décisives. Mais auparavant, on ne voyait pas grand-chose sortir de la recherche spatiale. Et nous n'avions pas toutes les applications que j'ai mentionnées auparavant et qui sont devenues extrêmement importantes pour notre vie quotidienne. Aujourd’hui tout le monde a un navigateur, ou un appareil de communication, lié à un satellite dans ses mains ou dans sa poche. Et on ne s'en rend même plus compte ! Ce qui m’importe encore plus, c'est que nous comprenions maintenant beaucoup mieux la Terre, que nous sachions comment elle fonctionne vraiment. C'est pourquoi nous parlons des changements climatiques, ce que nous n'avons pas fait il y a 50 ans. Personne n'a pu, à l’époque, tirer de conclusions scientifiques sur cette question essentielle parce que nous n'avions pas les données dont nous disposons maintenant. Je suis venu ici aujourd'hui pour parler aux étudiants, pour les impliquer le plus possible et leur expliquer ce que nous avons découvert. Nous le faisons pour eux, mais nous avons aussi besoin que les jeunes participent à cette aventure.
L'ESA espère avoir un astronaute européen sur la Lune d'ici 2028. Qu'en pensez-vous ? Mon petit doigt m'a dit que vous seriez peut-être intéressé...
(Rires) Nous aimerions beaucoup envoyer un Européen sur la Lune. Et nous aurons un Européen sur la Lune à un moment donné, c'est la suite logique. Nous voulons y retourner, mais d'une manière plus durable, pour rester plus longtemps et réaliser des programmes scientifiques très ambitieux, et pas seulement pour y planter un drapeau : ce n'est pas l'esprit de l'ESA. L'Europe va faire partie de cette aventure, nous nous y sommes déjà engagés. Nous disposons des compétences dont la mission aura besoin et j'espère que l'un d'entre nous – ou plusieurs – marchera sur la Lune.
Et ensuite, dans 20 ou 25 ans, nous nous attaquerons à Mars, qui sait ?