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A propos

Une ressource aux multiples enjeux et risques : l’eau !

Le 29 mars 2023, soit une semaine après le 1er sommet de l’eau à l’ONU depuis 1977 et à la veille de l’annonce d’un plan national spécifique en France par le Président de la République, Emma Haziza, hydrologue et spécialiste de l’adaptation de nos sociétés aux changements climatiques a tenu une conférence à HEC Paris, à l’initiative des associations étudiantes ESP’R et HEC Data Minds, pour sensibiliser sur les enjeux cruciaux autour d’une ressource fondamentale de notre planète : l’eau. Retour sur une conférence débordant de savoirs et conseils pratiques

Picture of Emma Haziza, hydrologist

Auteur/Author of this article: Frédéric Voirin

L’eau, nous en buvons tous les jours en France mais que savons-nous réellement à son sujet ?

L’hydrologue Emma Haziza vous en dit plus dans sa conférence à HEC Paris, qui est accessible sur la chaîne Youtube d’HEC Paris et revisionnable juste ici :

Une experte incontournable pour un sujet omniprésent dans nos vies: l’eau !  

Organisée par deux associations étudiantes d’HEC - ESP’R et HEC Data Minds, traitant respectivement d’écologie et d’innovation liée à la science des données - cette conférence a permis d’inviter une hydrologue de renom sur le campus d’HEC : Emma Haziza. Les étudiants ont ainsi souhaité mettre l’accent sur l’utilisation des data dans la lutte contre le changement climatique.  

Emma Haziza est l’une des plus grandes expertes françaises sur l’eau, docteure de l’école des Mines, spécialiste de la résilience des territoires face aux risques climatiques extrêmes, fondatrice de Mayane Groupe, centre de recherches appliquées dédié à l'adaptation climatique et porte également au sein de l’accélérateur ESS d’HEC Paris un projet de startup : Mayane Labs. Cette dernière structure de conseil utilise notamment les données climatiques et la data science pour évaluer l’exposition des entreprises aux risques environnementaux et notamment hydrologiques.  

A l’occasion de cette conférence, qui s’est tenue dans un contexte de sécheresses de plus en plus régulières, de pression croissante sur les nappes phréatiques et de tensions autour du sujet des méga-bassines (notamment autour du projet de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres), Emma Haziza qui enseigne depuis plus de 10 ans en école d’ingénieurs et forment les maires et les préfets a pu apporter avec pédagogie et bienveillance son regard sur la situation de l’eau en France.  

De nombreuses thématiques transversales ont été abordées : alimentation, agriculture, géopolitique, économie, gestion des risques, pour n’en citer que quelques-unes. Toutes ces thématiques se retrouvent aujourd’hui liées par un dénominateur commun : l’eau. Une conférence qui, au-delà du constat d’urgence, visait également à proposer des explications et des solutions pratiques.  

 

De l’abondance à la rareté ?  

A force de pouvoir obtenir de l’eau d’un simple tour de robinet, nous en sommes venus à considérer cette ressource comme quelque chose d’évident, presque comme un acquis. Or, cette évidence cache une réalité bien plus complexe, reposant sur des équilibres naturels fragiles, qui sont d’autant plus difficiles à maintenir que de nombreux secteurs de notre économie sont très consommateurs d’eau, qu’il s’agisse du nucléaire, de l’industrie textile ou de l’agroalimentaire.  

Emma Haziza nous a rappelé qu’en France, on a du mal à imaginer qu’un pays qui n’a jamais manqué d’eau, où la crue spectaculaire de la Seine en 1910 a marqué les esprits jusqu’à aujourd’hui, pourrait s’assécher. Et pourtant, on a déjà connu des situations de sècheresse intense au XXème siècle où l’on pouvait “traverser le Rhin à pied ou jouer aux boules le long du Rhône à sec”.  

 

Sécheresses, canicules : le premier élément atteint par ces anomalies thermiques est le cycle de l’eau.

Malgré une production hydraulique forte avec 21,2 Millions de tonnes d’eau produites en France en 2021, l’hydrologue rappelle à juste titre qu’encore tout récemment, nous avons eu “des signaux d’alerte”. Du 19 décembre 2022 au 2 janvier 2023, la France a connu une véritable “anomalie thermique”, avec la période la plus chaude jamais enregistrée en France !

Elle a rappelé au jeune auditoire présent, qu’il y a eu 2 pics de chaleur particulièrement critiques en France : +5,7 degrés en août 2003 (la fameuse canicule qui a causé 45.000 morts) et un autre épisode quasi équivalent à +5,6 degrés par rapport aux normales saisonnières, en octobre 2022 et son été indien prolongé. On parle alors de canicules d’hiver. L’hydrologue indique que le premier élément atteint par ces anomalies thermiques est le cycle de l’eau.  

En 2005, la France a connu une sécheresse très importante. Emma Haziza indique “à Belle-Île, 80.000 bouteilles en plastique avaient alors été livrées. Le coût des suralimentations en eau avait coûté 2,6 millions d’euros à l’époque”. Cet été-là, le gouvernement expliquait à ses concitoyens qu’il fallait couper le robinet en se lavant les dents pour ne pas manquer d’eau potable. Encore aujourd’hui, tout le monde ne suit pas cette recommandation. On consomme en réalité 5000-7000L d’eau par jour par personne en France, notamment via notre consommation d’énergie qui utilise le nucléaire et on doit refroidir constamment nos centrales”.  

 

 

Comment préserver nos ressources en eau  

En France, depuis 2017, 700 communes sont en souffrance hydrique et cela a un coût réel. Cette situation est d’ailleurs accrue dans les Hauts-de-France et le Grand Est. Mais ailleurs dans le monde, la niña, le pendant d’el niño sur l’eau, est une situation météorologique qui est en train de s’installer durablement. Sécheresse, pollution et pertes de biodiversité: “Le réchauffement climatique nous invite à repenser complétement nos modes de vie, de consommation et de production, dont nos usages de l'eau".

D'autant plus que

La France se réchauffe plus vite et plus intensément que le reste du monde 

La sécheresse des sols, coûte très cher aux assurances par exemple. En France celle-ci a coûté 2,5 milliards d’euros aux caisses d’assurance. Emma Haziza explique qu’“on risque de se retrouver avec un système où les assureurs ne voudraient plus couvrir ces surcoûts météorologiques”.  

En lien direct avec ce réchauffement climatique, il y a un risque d’eutrophisation des rivières (manque d’oxygène) pour les poissons. L’hydrologue rappelle qu’en 2020, le lac d’Enghien a atteint les 29 degrés et a vu ses poissons mourir à cause du manque d’oxygène. “70% des cours d’eau du monde pourraient être touchés par ce phénomène et même en haute-mer, le risque est de plus en plus présent”. Donc ça nous invite aussi à repenser la préservation de la biodiversité.  

 

L’hydrologue nous rappelle que nous n’avons pas réussi à atteindre les objectifs en termes de qualité des eaux en France et “nous n’y arrivera pas d’ici 2025”. Il y a encore 380 types de pesticides dans nos rivières actuellement. Je pense que le fait de donner une personnalité juridique à un fleuve ou une nappe phréatique pour se défendre est une projection intéressante pour évoluer vis-à-vis de la puissance juridique de la nature.” Nos modèles juridiques seraient donc encore à revoir !

Emma Haziza soulève également le sujet des pollueurs : “Chaque année 700 milliards d’euros sont donnés pour le milieu agricole sans demander de contrepartie. Or, il faut demander des comptes aux pollueurs sinon on va droit dans le mur”. Elle précise :

On a le droit d’être éco-anxieux, mais on a tous notre part à jouer

: on peut remettre du microbiote dans les sols, on peut faire pleuvoir dans le désert, on est en capacité d’agir et restaurer des zones humides”

 

Une invitation à remettre en cause nos modes de consommation  

Selon Emma Haziza, il n’y a pas de cap clair fixé pour l’écologie, car “personne ne sait où l’on va écologiquement”. Elle précise que “d’ici 100 ans les sols en France seront épuisés”, et conseille de “leur permettre de s’éroder naturellement, sans pesticide”. En Chine par exemple, faute d’eau, des centrales hydrauliques ont produit une moindre quantité d’énergie et pendant 2 jours certaines régions dépendant de ces centrales n’avaient plus d’électricité.  

Emma Haziza d’ailleurs nous rappelle à juste titre mais sans jugement moralisateur que nos modes de consommation directe ou indirecte restent problématiques.

Il est temps de prendre conscience de ce à quoi nous participons.  

De l'eau pour nous vêtir : “Le coton produit pour nos vêtements surconsomme de l’eau, en surexploitant les nappes phréatiques à l’échelle mondiale”. L’hydrologue nous rappelle que la pire catastrophe écologique liée à l’eau a eu lieu en mer d’Aral : “on a perdu 70% de sa capacité juste pour produire des t-shirts dans les années 1970 car il y avait beaucoup de modes impliquant de la surproduction de t-shirts. Mais encore aujourd’hui avec la fast-fashion, Zara par exemple fait 52 collections de t-shirts par an. Il y a 10 ans, Zara faisait 2 collections. Et ce sont des bassins d’eau qui ne se re-remplissent pas”

De l’eau pour nous nourrir : Suite à une nouvelle législation européenne, en lien avec le PACTE VERT de l’EU, “on n’importe plus en France ce qui provient de la déforestation amazonienne”. Toutefois l’hydrologue nuance son optimisme en rappelant que “nous participons à la déforestation en Côte d’Ivoire en consommant du chocolat par exemple. On contribue aussi à acheter du soja qui va nourrir nos poulets et représente une catastrophe écologique.” L’hydrologue se pose la question du futur proche à ce sujet : “Comment va-t-on faire dans 10 ans pour nourrir les milliards de Chinois et Indiens quand les nappes phréatiques ou les puits qui alimentent les rizières seront secs ? On augmente la quantité d’eau en surface et donc son évaporation, donc l’eau ruisselle mais ne s’infiltre plus dans les sols et disparaît peu à peu.”  

 

Quelles solutions pour réduire notre consommation d’eau à grande échelle ?

On a besoin de recréer de la cohérence. Et si on ne le fait pas nous, la Terre nous forcera à le faire.

Emma Haziza a analysé plusieurs pistes de solutions.  

    Pour l’accès à l’eau douce : “Il y a 97% d’eau salée à désaliniser hypothétiquement. Si vous avez les moyens et du pétrole pour assurer les infrastructures et transports que cela nécessite, vous pourrez désaliniser l’eau de mer” (comme dans le désert d’Atacama, le plus aride du monde). Face à cette incertitude quant à l’épuisement de la source pétrolifère, Emma Haziza nous lance avec une pointe d’ironie “peut-être qu’on ira sur des solutions plus basées sur l’énergie solaire.”

    Pour notre agriculture : “On ne peut pas se permettre d’extraire dans les nappes phréatiques comme avec les méga-bassines : l’eau doit rester dans la terre. Il faut transformer le modèle agricole pour repenser nos modes de production de manière plus durable. Il existe des solutions assez simples par exemple comme les haies. Un arbre c’est un climatiseur naturel, encore faut-il pouvoir les arroser. On peut élever des animaux moins consommateurs en eau. On peut éviter l’élevage intensif. ”

    Pour notre énergie : “Le nucléaire est une question encore plus sensible que celle de l’agriculture. Je pense encore que c’est un colosse aux pieds d’argile car il s’appuie toujours sur nos cours d’eau.”

    Pour notre politique d’Etat : “J’ai senti une inflexion politique nouvelle : le ministère de l’écologie parlant de +4 degrés, d’un plan eau, d’un été inédit à vivre. Je ne sais pas si cela va se traduire en faits politiques mais il y a une prise de conscience concrète et ça provient de toute classe de population. Et j’espère qu’on saura agir avant le retour de boomerang.”

 

Comment agir à l'échelle individuelle ?   

Emma Haziza n’est pas favorable à la coercition car “ce n’est pas agréable, je pense qu’on a besoin de guider les gens, pour leur faire comprendre qu’ils sont vulnérables et les accompagner psychologiquement aussi à ces changements de comportements. Je cherche encore des solutions pour savoir comment faire cela au mieux, en toute franchise. “

Malgré ces premières réserves, l’hydrologue nous donne quelques recommandations et conseils très concrets.  

On peut faire preuve de résilience alimentaire en mangeant des produits plus proches de nous et moins transformés

Emma Haziza précise qu’en adaptant notre alimentation, on gagne sur l’enjeu de l’eau et du carbone ! “Nous avons besoin de diminuer notre part de viande et nous n’aurons pas trop le choix. 90% des pays de l’OCDE produisent des céréales pour le bétail. Nous devrons donc réduire la part de viande pour conserver ces céréales pour l’Homme. Aujourd’hui il reste 2% d’animaux sauvages et 85% de bétail. Les 13% restants sont l’humanité et nos animaux domestiques. Le déséquilibre n’est plus tenable, le GIEC est clair sur cet enjeu. J’ai personnellement arrêté de manger de la viande et je le vis très bien.

Chacun peut donc y penser et agir dès maintenant, quotidiennement et assez simplement par des écogestes basiques

Eteindre la lumière et le chauffage des pièces où l’on ne vit pas, réduire sa consommation thermique ou alimentaire, installer des mousseurs sur ses robinets pour réduire le gaspillage, réutiliser l’eau de pluie pour des arrosages, baisser les volumes des chasses d’eau, n’acheter que des vêtements réellement utiles et éco-conçus. Tous ces petits gestes servent aussi à pallier notre surconsommation d’eau.  

 

La data science au service de la lutte contre le changement climatique : où agir en en temps réel

Pour prendre des bonnes décisions, il faut “avoir des yeux pour observer le réel” affirme Emma Haziza. “Nous avons besoin de monitorer nos territoires pour savoir où agir". J’ai l’impression qu’on subit les crises et qu’on n’a pas les coups d’avance nécessaires pour réagir”

On a beaucoup utilisé le neuromarketing mais assez peu les data-sciences pour réguler notre consommation d’eau

Ces données nous permettraient de savoir en temps réel ce qui se trame sous nos pieds, dans nos champs et globalement vis-à-vis de nos modes de consommation.

Et c’est bien là que Emma Haziza entrevoit le formidable potentiel des données : selon elle, “il faut que demain tout le monde puisse être une sorte de conseiller climatique : pouvoir dire si sa nappe phréatique est en souffrance, si on peut produire selon les besoins réels en local, si on peut construire les nouveaux bâtiments avec du sens pour y vivre durablement. C’est vraiment à nous de nous poser la question de savoir si ce modèle économique est vraiment nécessaire.  

 

 

L’eau est bien présente partout dans nos vies, dans nos assiettes, dans nos vêtements, dans notre électricité, dans toutes nos activités. Ainsi, les étudiants d’ESP’R et HEC Data Minds se sont proposés d’examiner, avec l’hydrologue Emma Haziza, les enjeux systémiques qui se présentent autour de cette ressource dans les décennies à venir. De la surexploitation des nappes phréatiques aux dérèglements du cycle de l’eau, en passant par les conflits d’usage, tous les sujets ont été abordés, avec pédagogie et sans tabou. Les étudiants et l’hydrologue ont notamment rappelé les possibilités qui nous sont offertes dans notre quotidien et par la data science et l’IA pour mieux prévoir et maîtriser ce risque. 

 

EXTRA: Emma Haziza nous en dit plus sur les urgences liées à l'eau dans cet HEC Afterwords !