Biryanis, distanciation sociale et cours en ligne : une expérience du confinement « à l’indienne » à HEC Paris
Plus de 5000 étudiants indiens auraient choisi la France l’année dernière pour poursuivre leurs études supérieures. Une centaine d'entre eux sont restés confinés sur le campus d'HEC Paris jusqu'au 11 mai, contraints de jongler entre les défis du moment, les cours en ligne et les contraintes du quotidien. Cinq étudiants indiens nous ont fait part de leurs espoirs, de leurs réalités et de leurs aspirations pour surmonter cette période de crise et en sortir renforcés et résilients.
« C’est intéressant d’être là, d’expérimenter cette pandémie et d’en être témoin » : Sushil Reddy, un étudiant du MSc Sustainability & Social Innovation (SASI), sourit gravement au téléphone. Il a pourtant déjà vécu des dizaines d'expériences au cours de sa jeune carrière qui, jusqu'à présent, l’a mené de l'établissement d'un record inscrit au Guiness Book of Records (en traversant le nord-ouest de l'Inde à vélo pendant 79 jours) jusqu’à la conception de rickshaws fonctionnant à l'énergie solaire, pour lutter contre la pollution. Mais rien ne l'a préparé à relever les défis que lui réservait son retour sur le campus d'HEC pour terminer son master. « J'espère que les choses reviendront vite à la normale » avouait-il lors de notre première discussion, au début du confinement.
L’évidence s’est cependant vite imposée, pour lui comme pour ses 500 camarades bloqués sur le campus : c’est une longue épreuve qu’ils allaient devoir affronter. Le jeune entrepreneur social aborde néanmoins la situation avec sérénité : « je me suis créé une sorte de routine. Tous les jours, je vais faire du jogging ou de la marche près du lac, et je fais mes courses au supermarché Auchan, en face du campus, tous les trois ou quatre jours. J'ai aussi essayé de nouvelles recettes, ce qui me prend d’ailleurs pas mal de temps chaque jour ».
Mais Sushil passe aussi une grande partie de ses journées à lire : « principalement des articles de recherche sur les secteurs de l'énergie et de la santé. J'apprends beaucoup sur les pandémies grâce à la lecture et à des webinaires. Et puis j’ai aussi regardé compulsivment des séries et des films, et joué de la musique, pour me détendre ».
La beauté du printemps
Près de 150 étudiants indiens sont aujourd’hui inscrits à HEC Paris : ils constituent la troisième communauté internationale de l'école. Au-delà de l'excellence académique dont ils font preuve à tous les niveaux (du programme Grande École jusqu’au doctorat, en passant par le MBA et l'Executive Éducation), ils contribuent aussi à faire vivre la scène culturelle de l’école depuis des années, au travers d’événements comme le Holi Festival ou l'India Week par exemple. Shubham Choudhary partage cette vie étudiante depuis 2017 et se spécialise actuellement en management stratégique. La fermeture du campus n'a pas remis en cause son attachement à la vie étudiante : « les règles appliquées sur le campus pour les mesures de confinement sont les mêmes que dans le reste de la France. Mais je pense que c’est plus facile et relaxant sur ce campus où on peut se promener, et qui est encore plus beau et plus vert avec le printemps qui approche ». Comme tout le monde sur le campus, Shubham a été secoué par la disparition tragique d'un camarade, début avril.
Nistha Chakrabothy salue quant à lui les efforts entrepris par les équipes administratives et pédagogiques d'HEC pour venir en aide aux étudiants confinés : « de nombreuses initiatives ont été engagées, comme des conférences en ligne, des séances d'entraînement/yoga, des activités de peinture, des informations sur le marché du travail, … », précise-t-elle. Et le parcours de Nistha l'a sans aucun doute préparée à des situations difficiles : « ayant vécu dans différents pays (la France, l’Inde, les Emirats Arabes Unis et Singapour), j'ai appris à m'adapter à différentes cultures ».
A un écran de distance
C’est aussi le cas de Rushap Khazanchi. Cet étudiant du Master in Management (MiM) se décrit lui-même comme « une personne motivée aimant vivre de nouvelles expériences et développer de nouvelles aptitudes et compétences ». Des situations de ce type ne sont pas entièrement nouvelles pour lui : « je viens d'une communauté de migrants du Cachemire (Pandit) et j'ai grandi dans la région de Delhi. Le confinement est quelque d’assez habituel pour ma famille au Cachemire, qui a connu plusieurs couvre-feux et confinements au cours de son existence, le dernier en 2019 ». Rushap Khazanchi évoque franchement la crise du Covid-19, qui l'a durement touché : « jusqu'à ce que le coronavirus frappe l'Europe, j'avais un emploi assuré. Cette opportunité a maintenant disparu, et je me retrouve maintenant en confinement, essayant de subvenir à mes besoins, de chercher un autre emploi et de rester serein au moment où nous venons de perdre un membre de notre communauté ».
Rushap Khazanchi parvient à trouver son équilibre grâce à une stricte routine quotidienne, qui commence vers 9h30 et se partage entre études, recherche d'emploi et préparation de ses entretiens d’embauche. Ces derniers ont d’ailleurs débouché sur trois entretiens, et d'autres sont prévus. Il puise aussi sa force dans le partage de cette expérience inédite avec sa partenaire : « je suis presque toujours à un écran de distance de ma petite amie qui est elle aussi en confinement, à Londres (au sein de la LSE). Nous nous soutenons l’un l’autre, en regardant des films ensemble grâce au partage d'écran, en buvant un peu de vin et en parlant de nos vies ».
Juste à côté du campus, on retrouve Mayank Sehgal, un talentueux créateur de contenu et spécialiste en marketing numérique qui profite de son année sabbatique dans le cadre du programme Grande Ecole. Il partage avec de nombreux étudiants d'HEC Paris la résidence ECLA à Massy-Palaiseau, d'où il travaille à distance pour MAC Cosmetics. « Bien sûr, le télétravail était frustrant au début, mais ça va mieux maintenant », explique le stagiaire originaire de Delhi. « Maintenant que le rythme est trouvé, c'est génial » : Mayank s’y connaît en matière de rythme, avec un album et plusieurs courts métrages réalisés en parallèle de ses études. « J'ai trouvé un bon équilibre ici », dit-il, tout en envoyant une photo de lui avec sa guitare favorite. « Je reste en contact avec mes amis et ma famille, en attendant de voir ce qui se passera à la fin de mon stage, en juillet ».
Les 100 étudiants indiens qui vivent sur le campus envisagent un retour chez eux plus tôt, car les autorités de New Delhi ont lancé un programme de rapatriement sans précédent pour leurs citoyens bloqués dans le monde entier. Pourtant, aucun des cinq étudiants indiens rencontrés n'a encore manifesté le désir de rentrer : « je pense qu'il est beaucoup plus sûr pour tout le monde, y compris pour moi, de rester là où nous sommes », indiquait ainsi Mayank Sehgal au First Post, une grande revue indienne en ligne. « Revenir pourrait mettre en péril la sécurité de mes parents, la mienne et celle de la société tout entière ». Les camarades de Mayank sont en contact régulier avec leur famille restée au pays : « un confinement strict a été mis en place à l'échelle du pays, bien que sa mise en place fasse actuellement l'objet d'un débat », explique Shubham Choudhary.
Pendant ce temps, plusieurs initiatives sont nées, au milieu de cette situation quelque peu "beckettienne". Grâce à Sushil Reddy, par exemple, la délicieuse cuisine indienne et le service souriant de Priyanka Bombay viendront illuminer le campus tous les vendredis. Priyanka est derrière le comptoir de son Bombay Spice Food Truck, un des deux seuls points de vente en Ile-de-France de plats indiens à emporter. Elle est arrivée avec son camion dès le 1er mai : « dans ces circonstances inhabituelles, je n'ai pas hésité un seul instant à apporter ma cuisine sur le campus », explique-t-elle. Au cours des quatre mois d'existence de sa société, l'expérience vécue sur le campus d'HEC a été l’une des plus réussies. « La première fois que je suis venue sur le campus, je n’avais prévu qu’une cinquantaine de clients. Et pourtant la queue était énorme ! Certaines personnes ont attendu deux heures et j'ai dû en refuser beaucoup, on a tout vendu en un temps record ».
Désormais cette spécialiste de la cuisine de Bombay - rouleaux Kathi, thé Masala chai, naans, beignets Pakoras, assortiments de biryanis… - est armée pour deux fois plus de clients et considère sa « résidence » du vendredi à HEC Paris comme un engagement à long terme. En espérant aussi que le confinement de 2020 sur le campus de Jouy-en-Josas ne sera bientôt qu'un lointain souvenir.