Enseigner à l’heure du Covid-19
Depuis le 16 mars dernier et la décision du Gouvernement de mettre en place une période de confinement, HEC Paris s’est massivement investi dans l'enseignement à distance au profit de ses 4.500 étudiants. En trois semaines, ce sont plus de 700 cours, ateliers et séminaires online qui ont été mis en place par l’école, lui permettant de maintenir le caractère exclusif de ses enseignements. Cette révolution silencieuse a mobilisé l'ensemble du corps professoral, ainsi que les équipes informatiques et digitales de l'école. Récit.
Enseignement à distance, formations online, enseignement augmenté, classes inversées, dématérialisation des interactions… Ce ne sont là que quelques-uns des concepts qu’on entend et voit se développer dans l’enseignement supérieur depuis qu'une grande partie de la population étudiante mondiale est confinée, en réponse à la pandémie du Covid-19. Selon la journaliste Goldie Blumenstyk, celle-ci pourrait être le « cygne noir » de l'enseignement supérieur. Cette période, écrit-elle, devrait « être un déclencheur pour l'éducation en ligne et tous les autres outils technologiques liés à l’éducation, bien plus que les décennies d'expertise qui ont précédé ».
Les atouts de l'enseignement online ne sont pourtant pas une nouveauté pour les professeurs et les équipes académiques d’HEC Paris. « Depuis 2014, nous nous attachons à concevoir des programmes entièrement en ligne, ainsi que des cours mixtes pour répondre aux besoins de formation sur-mesure », explique Ashraf Akbar, senior digital learning manager à HEC. Aux côtés du doyen associé chargé des Programmes pré-experience, Marc Vanhuele, il a participé par exemple à la conception de l'un des premiers masters en ligne au monde en l'innovation et entrepreneuriat.
Se projeter dans l’avenir
Mais l’enseignement à distance a connu un essor considérable depuis le début du mois de mars. C'est à ce moment que Robin Ajdari, le chief digital officer d'HEC Paris, a réuni en prévision du confinement une équipe de spécialistes en lui donnant pour mission de rendre accessible en ligne tous les programmes destinés aux étudiants du programme Grande Ecole, du MBA, de l’executive education et du doctorat. « Dans la première phase de cette crise, avant même le confinement, il faut se rappeler que l'incertitude était grande », explique l'une des membres de l'équipe, Anne Michaut, qui est également doyen associé à la Faculté (Education Track) et à la Pédagogie, et directrice de la Chaire LVMH de l'école. « Nous avions une situation en constante évolution, en lien avec les décisions gouvernementales, et de ce fait, nous ne savions pas exactement quelle voie suivre, et à quel moment : cours en présentiel, hybride, ou intégralement en ligne, toutes les options étaient envisageables et des solutions adaptées avaient été envisagées ».
La mise en place du confinement mi-mars a fait du 100% en ligne la seule option possible. Adrien Painturier, digital program manager à HEC, dit s'être investi corps et âme dans le projet, en tant que membre de l'équipe chargée de la continuité pédagogique : « nous avons investi toute notre énergie et tout notre savoir-faire dans ce qui nous semble être le bien commun de la communauté HEC Paris. Pour moi, cela a permis d’apporter un rayon de soleil au bout du sombre tunnel que la société traverse actuellement ».
Une équipe de choc
Pour s’assurer de la maîtrise de l’outil Zoom, l'équipe a contacté environ 200 professeurs pour des tests de diagnostic. « Nous l'avons appelée "l'équipe d’intervention Zoom" », raconte Ashraf Akbar. « Ses membres se connectaient à chaque session de Zoom, avant le début des cours, pour discuter avec les professeurs, et s'assurer que tout fonctionnait bien. Après une quinzaine de jours d'enseignement à distance, le service informatique a pris le relais ».
Grâce aux conseils d'Ashraf Akbar et de ses collègues, les professeurs ont appris à piloter des sessions d'enseignement synchrones, à exploiter le potentiel des classes inversées (flipped classrooms), à utiliser les salles (virtuelles) en petits groupes, les outils de sondage pour stimuler les étudiants, ou encore la technique du one minute paper.
Les étudiants ont également dû faire preuve d’encore plus de responsabilité : « dans ce contexte, notre présence charismatique et notre aptitude au storytelling ont moins d’importance », reconnaît Kristine de Valck, doyen associé et directrice du doctorat à HEC Paris. Elle est un des premiers professeurs à avoir adopté l'enseignement online lorsqu'elle a créé un cours sur iTunesU, il y a 11 ans. « Nos étudiants doivent comprendre que cela implique plus de travail que l'expérience agréable de laisser son bateau suivre le sillage d'un bon cours. Ils doivent se mouiller les pieds, se salir les mains, et faire un réel effort pour hisser les voiles, sinon les cours en ligne restent plats comme un lac lors d'un jour sans vent ».
Des cours et des webinaires
Les résultats ont heureusement été un succès incontestable. En quelques semaines, Thomas Astebro, qui enseigne l'entrepreneuriat, a constaté une augmentation de 200 à 500% de la participation aux cours en ligne. « Les établissements traditionnels vont être concurrencés beaucoup plus fortement par les programmes en ligne, en grande partie à cause du confinement », affirme-t-il. Thomas Astebro a fondé et assuré pendant 3 ans la direction académique du MSc in Innovation and Entrepreneurship, et il est également un spécialiste reconnu de l'apprentissage en ligne pour adultes. Pour lui, il ne peut pas y avoir de retour à un enseignement normal après cette crise sanitaire : « l'apprentissage en ligne sera la nouvelle norme et les interactions sociales entre étudiants continueront à être importantes après la fin de la crise ».
En parallèle, HEC Paris a lancé une série de webinaires sur l'impact de la crise sanitaire : ils attirent des milliers de spectateurs, comme celui d'Olivier Sibony le 7 avril dernier sur les biais cognitifs et la prise de décision pendant la pandémie (plus de 100 000 vues). Tout aussi stimulants, les webinaires de Laurence Lehmann-Ortega sur la réinvention du business model, ou de Jeremy Ghez, qui cherche à savoir si la crise peut conduire au « découplage économique et à la démondialisation », un sujet qu'il développe également dans le magazine Forbes. Et bien d'autres encore.
50 à 60 cours virtuels sur Zoom chaque jour
Bien qu'il soit encore trop tôt pour savoir comment ces changements évolueront après le retour à la normale, plusieurs intervenants soulignent que la grande majorité de leurs collègues sont heureusement surpris par le niveau de feedback et d'interaction dont ils bénéficient pendant leurs séminaires en ligne. Ces expériences sans précédent se répercutent sur la recherche à HEC Paris. Christophe Pérignon, doyen associé et directeur de la Recherche de l'école, pense que cette crise oblige l'ensemble de la communauté à réinventer son approche et sa communication en matière de recherche : « la communauté des chercheurs discutait depuis plusieurs années de la possibilité de mettre en ligne certaines de nos activités, pour limiter les déplacements et réduire les émissions de carbone. Et aujourd'hui, les chercheurs d'HEC Paris organisent régulièrement leurs séminaires de recherche internes ou externes en ligne, tandis que certains collègues travaillent maintenant sur des conférences de recherche en ligne ».
Le passage à l'enseignement à distance devient de plus en plus crucial, les autorités françaises ayant confirmé que tous les établissements d'enseignement supérieur devraient fermer leurs programmes sur les campus jusqu'au mois de septembre 2020. « Cette décision (gouvernementale) a en partie été prise après avoir constaté que le passage à l'enseignement à distance avait bien fonctionné et que les retours sur la qualité de cette expérience pédagogique ont dans l’ensemble été positifs », remarque Peter Todd, Directeur Général d'HEC Paris. Les inévitables problèmes au démarrage ont été surmontés, et le rythme de 50 à 60 cours virtuels par jour sur Zoom reprendra probablement après la période des examens, selon Adrien Painturier : « cette crise a permis des avancées, des révolutions ou des réinventions considérables dans les méthodes de travail de beaucoup de gens. Et ces changements sont encore en cours, avec l’effet d’un "accélérateur de temps" pour les professeurs d’HEC et bien au-delà ».
Un impact à venir
Au moment où nous écrivons ces lignes, son collègue Ashraf Akbar a pris en charge un projet destiné à mettre en place un système d'examens entièrement en ligne appelé Proctorio, qui s’appuie sur certaines avancées en matière d'IA. Il pourrait également s'inscrire dans une réflexion à plus long terme sur l'enseignement à HEC Paris. « Après ce moment de gestion de crise, nous aurons une occasion unique de revoir l'ensemble du dispositif pédagogique », observe Anne Michaut. « Il nous faudra reconsidérer les objectifs pédagogiques de chaque outil dans le parcours d'apprentissage de nos participants ».
Pour beaucoup, cette réévaluation permettra de concevoir une expérience holistique, afin d’optimiser les résultats de l’expérience pédagogique. « Je suis convaincue que toutes ces possibilités coexisteront avec différentes fonctions dans le futur écosystème d'apprentissage de nos participants », poursuit Anne Michaut. « Un fait est incontestable : cette période nous permet de faire des progrès incroyables dans la maîtrise de technologies qui n'étaient pas encore très répandues parmi les membres du corps professoral et les responsables des programmes ».