Guillaume Pitron : quel est le vrai visage de la transition énergétique ?
L'association étudiante Le Salon HEC a organisé, le 20 novembre dernier, une conférence avec le journaliste et réalisateur Guillaume Pitron. C'est dans le cadre du prix de la Fondation ManpowerGroup / HEC Paris que les membres de l’association avaient eu l'occasion de découvrir et récompenser Guillaume Pitron pour son livre « La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique » (éditions LLL) : il a reçu à la fois le prix spécial du jury et celui des élèves d’HEC Paris. Grâce au travail des étudiants du Salon en amont de la conférence, le Centre Society & Organizations (S&O) d’HEC a souhaité intégrer l’événement dans son cycle de conférences sur la transition écologique et sociale. Bénédicte Faivre-Tavignot, directrice exécutive du Centre S&O, et Sébastien d'Herbès, président du Salon HEC, ont donc introduit la présentation de Guillaume Pitron, avant des échanges sur scène avec les étudiants du Salon, puis une séance de questions-réponses avec la salle.
Par quelles ressources va-t-on remplacer le pétrole ? Intéressé depuis longtemps par les matières premières, c’est avec cette question en tête que Guillaume Pitron a voyagé durant six ans, dans près d’une douzaine de pays. Une question devenue fondamentale aujourd’hui : la transition énergétique et écologique a en effet connu un grand coup d’accélérateur depuis quelques années.
L’accord de Paris sur le climat, signé en 2015 à l’issue de la COP 21, a pour ambition de limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici 2100. Ce changement radical doit s’effectuer par une réduction drastique des gaz à effet de serre générés par les différentes énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz). Pour atteindre cet objectif, on évoque généralement la nécessité de passer à des technologies plus « vertes » (panneaux solaires, voitures électriques, éoliennes…), une condition pour accéder à une nouvelle époque de l’histoire humaine, plus durable, plus solidaire et plus apaisée d’un point de vue géopolitique.
Des métaux rares partout
Mais Guillaume Pitron a tenu à rappeler aux étudiants d’HEC que toute transition énergétique s’appuie nécessairement sur une ressource particulière pour se concrétiser. Après le développement de la vapeur (fondé sur le charbon), et celui du moteur thermique (basé sur le pétrole), nous aborderions aujourd’hui une troisième transition énergétique. Si cette transition s’appuie évidemment sur les énergies vertes, Guillaume Pitron souligne que celles-ci nécessitent des métaux en abondance, qu’il s’agisse de métaux classiques (le fer, le zinc, le cuivre, l’aluminium), et surtout de métaux dits « rares » (l’antimoine, le béryllium, le cobalt, le gallium, l’indium, le niobium, les terres rares…)
Il n’y aurait donc pas de transition verte sans métaux, et surtout sans métaux rares. Ces métaux sont recherchés et utilisés aujourd’hui, car ils ont des propriétés exceptionnelles. D’ailleurs chacun d’entre nous porte désormais des métaux rares sur soi, notamment dans les smartphones que nous utilisons de façon courante : on y trouve par exemple du néodyme et de l’indium, deux métaux rares qui permettent aux écrans d’être tactiles. Nous serions donc entourés de métaux rares, indispensables à notre vie quotidienne, sans pour autant en avoir conscience.
D’une dépendance à l’autre
D’ici à 2030, le nombre de voitures électriques dans le monde (environ 2 millions aujourd’hui) va être multiplié par cent. Les besoins en matières premières vont donc exploser : pour Guillaume Pitron, loin de nous libérer de toute contrainte énergétique, nous allons plutôt « basculer d’une dépendance à une autre ». Les Etats et les citoyens souhaitent collectivement se libérer de leur dépendance au pétrole, mais en la remplaçant (via les technologies vertes) par une nouvelle dépendance aux minerais, au cours d’un XXIème siècle qui promettrait donc d’être un nouveau « siècle de métal ». Selon une étude de l’université de Grenoble en 2015, le monde va consommer dans les années à venir autant de minerais que tous ceux consommés depuis 70.000 ans.
En partant de ce postulat, les questions surgissent, nombreuses : la transition verte est certes indispensable, mais où ira-t-on chercher les métaux nécessaires ? Quel sera leur coût social, humain, sanitaire, environnemental ? Certains Etats auront-ils (à l’exemple de ce qu’on constate dans l’économie pétrolière) une position dominante sur le marché de ces métaux ? Dans un monde sous tension avec huit ou neuf milliards d’habitants, risque-t-on d’être confronté à des pénuries, et donc à des conflits armés potentiels ? Un visage inédit, et potentiellement inquiétant, de la transition verte se dévoile quand on tente d’y répondre.
Guillaume Pitron a ensuite évoqué devant les étudiants d’HEC ses récentes enquêtes à travers le monde, qui alimenteront notamment un documentaire sur les métaux rares qui sera diffusé sur Arte en 2020. Il s’est notamment rendu en Chine, dans la province du Helongjiang (où des mines de graphite sont exploitées dans une situation environnementale et sanitaire très difficile), ou à Baotou, en Mongolie Intérieure (qui héberge des activités de raffinage de néodyme, qui consomment énormément d’eau, tout en la polluant massivement).
Un recyclage à amplifier
Pour éviter les dégâts environnementaux dus à l’extraction et à la transformation de métaux rares, une solution paraît s’imposer : un recyclage beaucoup plus massif et systématique de ces métaux rares. Mais les technologies vertes intègrent des métaux mélangés. Pour les recycler, il faut donc les désallier, et traiter des alliages souvent très complexes. Cela explique sans doute, selon Guillaume Pitron, que les métaux rares sont aujourd’hui très peu recyclés.
« Pour faire du propre, il faut faire du sale, et il n’y a pas de propre sans sale » : pour Guillaume Pitron, la transition énergétique en cours comporterait donc de nombreuses contradictions. Les énergies renouvelables s’appuient nécessairement sur des ressources non renouvelables : en somme, et de façon très paradoxale, plus une technologie est « verte » aujourd’hui, plus elle est complexe, et moins il y a d’économie circulaire et de recyclage.
La Chine au centre du jeu
Guillaume Pitron a enfin déplacé son propos sur le plan géopolitique. L’Europe et les Etats-Unis ont fermé leurs mines de métaux rares dans les années 80 et 90, pour ne plus en subir les pollutions induites. Mais les pays occidentaux ont continué à consommer ces métaux. La Chine détient quant à elle des réserves colossales de ces métaux rares, et a peu à peu repris les marchés : « le monde s’est organisé entre ceux qui sont sales, et ceux qui font semblant d’être propres. Nous avons délocalisé la pollution des technologies vertes et numériques ».
La Chine assure aujourd’hui l’extraction de la majorité de ces métaux. Depuis vingt ans, elle remonte progressivement la chaîne de valeur, et a désormais tendance à conserver davantage ses minerais pour fabriquer et vendre elle-même ses technologies vertes. Aujourd’hui la Chine assure 60% de la production mondiale de panneaux photovoltaïques, et 70% de la production mondiale de batteries pour les voitures électriques. La Chine se lance à l’assaut du monde avec ses technologies, pour lesquelles elle dispose de la matière première.
Pour une « vérité écologique »
« Aborder le monde vert avec des lunettes roses n’est pas envisageable » : pour Guillaume Pitron, il faut absolument engager la transition énergétique, car les technologies vertes consomment moins de CO2, cause de tous nos maux présents et à venir. Mais il est tout aussi indispensable de connaître la « vérité écologique » de ces technologies, d’assurer la traçabilité des matières premières utilisées, de rationaliser la ressource, de mettre en place une véritable économie circulaire (en France, seule la moitié des téléphones portables est recyclée, 15% dans le monde seulement), et enfin d’agir sur les modes de consommation. On comprend mieux ainsi la prophétie de Stephen Hawking, rappelée par Guillaume Pitron au début de sa conférence : « le XXIème siècle sera une course entre la technologie et la sagesse »