[Incubateur HEC] Cultiver sa différence avec Laurent Didier
Designer, entrepreneur, coach... Laurent Didier (H.79) a eu plusieurs vies et met aujourd'hui son expérience au service des startups de l'Incubateur HEC Paris. Découvrez, au travers de ses réflexions, comment il utilise son expertise pour encourager et pousser les entreprises à aller plus loin !
Propos recueillis par Lisa Gerbe, Responsable de programme à l'Incubateur HEC Paris
Merci d'avoir pris le temps, Laurent, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Diplômé HEC en 1979, je suis devenu expert certifié en Design Thinking à la d.School.
J'ai d'abord poursuivi ma carrière dans le marketing, la communication et le design au sein de grandes entreprises. Je travaille à des niveaux de direction depuis 1992, et en tant qu'entrepreneur depuis 1999.
J'ai commencé chez Unilever, dans la lessive, car je voulais travailler dans le marketing tout en étant aussi bien formé que mes clients.
J'ai ensuite travaillé dans l'industrie du design, en tant que directeur Branding & Packaging pour Dragon Rouge pendant 12 ans. J'ai ensuite acquis une société de design, que j'ai revendue à Dragon Rouge 5 ans plus tard.
J'ai continué à travailler dans le domaine du design et du marketing stratégique avec de grandes entreprises comme Nestlé, avec lesquelles j'avais l'habitude de traiter avec les patrons des divisions stratégiques, un niveau N-1 du board.
Progressivement, j’ai quitté le design (parce que ça se pratique “jeune”). En me formant au Design Thinking, à la d.School, j’ai compris que j’avais envie d'intégrer le monde des start-ups, PME et ETI ; c’est là que se crée la richesse !
Je vois que tu as mené une vie bien remplie, que fais-tu aujourd'hui ?
J’aide les entrepreneurs et les entreprises à projeter leur stratégie de transformation ou d’innovation sur une orbite de succès, en la rendant palpable, donc appropriable par tous les publics qu’adresse l’entreprise. En premier lieu, les collaborateurs, mais aussi évidemment les partenaires, les clients, etc…
Cela permet une implémentation plus rapide des stratégies; de réduire les risques et d’éviter les erreurs.
Peux-tu nous donner un ou deux exemples d’entreprises que tu as aidé dans ce sens, à l’Incubateur HEC Paris ?
Voici quelques témoignages que j'ai recueillis lors de notre enquête en juin dernier, je crois qu'ils parlent d'eux-mêmes :
- Témoignage de Raphaël Vullierme - Luko :
"Laurent nous a permis de travailler sur notre "Why" et pas uniquement sur le how. Il nous a permis de conceptualiser notre action dans le long terme et ainsi de définir un cap clair inchangé depuis."
- Témoignage de Maxime Huzar - Spacefill :
"Travailler avec Laurent nous a permis, dans les premiers mois de SpaceFill, de nous concentrer sur ce qui comptait vraiment : vendre un service de qualité à de véritables clients en communiquant le cœur de notre proposition de valeur."
- Témoignage de Thomas Reynaud - GarantMe :
“Laurent vous oblige à vous poser les questions structurantes pour l'entreprise ! Mener les réflexions stratégiques et surtout mettre des mots sur cette stratégie nous a permis de savoir où on voulait aller et surtout d'onboarder l'équipe sur cette stratégie.”
"Tout d’abord je les fais pitcher en 2 minutes,
pas une seconde de plus ni de moins !"
Explique-nous un peu, quelle est ta méthode ?
J’interviens principalement sur la création de richesse et la Proposition de Valeur.
1/ Tout d’abord je les fais pitcher en 2 minutes, pas une seconde de plus ni de moins. C’est un fabuleux diagnostic !
2/ À chaque fois, une question est posée par un entrepreneur, on fait en sorte que la question posée soit abordée et solutionnée.
3/ On remet toujours cette question en perspective de la raison d’être de l’entreprise (le "Why"), pour l’aider à se projeter et à aborder d’autres questions préoccupantes à ce moment-là.
Au fil du temps, j’ai structuré une méthode et l’ai condensée pour en faire un produit. Cela donne : Puzzle'uP 6® by Baraca.
Quel constat as-tu fait au gré de ce temps passé au contact des entrepreneurs ?
1/ Ils ont tous la tête super bien faite.
2/ Ils viennent avec des idées géniales, et des têtes pour y répondre. Parfois, ils pourraient manquer de méthodes, mais nous sommes là pour ça !
3/ Je remarque que certains exécutent mieux que d’autres certaines séquences.
Pourquoi ? Il y a 3 facteurs clés de succès. Au départ c’est une image floue, qu’il faut ajuster comme les pièces d’un puzzle.
Voici les 3 grandes séquences que j'ai observées :
1/ faire la différence : on les entraîne à l’identifier et exprimer leur différence; puis à la nourrir.
2/ rencontrer les besoins des utilisateurs : on les amène à éprouver leurs idées auprès des utilisateurs pour designer une proposition de valeur qui match son public.
3/ réunir les conditions de l’accélération : il faut dans un premier temps inspirer, ensuite il faut évangéliser son environnement. Les entrepreneurs doivent mettre en capacité tous les publics qui les entourent. La réussite d’une mise en mouvement rapide est moins une question d’autorité (“fais pas ci, fais pas ça, à dada sur mon bidet”), mais une mise en œuvre de l’adoption collective.
Dans chaque séquence, il y a une vision qui conduit au succès. C’est en permanence une danse entre la stratégie et l’action.
En s'ajustant, on peut faire des progrès très très vite.
‘’Je veux tout simplement aider ceux qui peuvent faire bouger les lignes, et créer le monde qu’ils veulent, conciliant efficacité économique et sociétale’’
Quels sont tes projets, tes ambitions ?
J’ai 4 enfants, le premier a 34 ans, le dernier a 18 ans. Si il y a bien une chose que j’ai réussie, c’est eux. Mon rôle, maintenant, est de faire en sorte que le monde qui vient soit le leur, le vôtre.
À partir de là, je pense qu’il est urgent de faire bouger les lignes.
Je pense que seuls les entrepreneurs sont en capacité de le faire, car tous les autres ont des intérêts, des positions à défendre et des avantages acquis. Ils manquent de neutralité et d’objectivité.
Ceux qui peuvent faire bouger les lignes, et créer le monde qu’ils veulent, j’ai envie de les aider. Si je peux contribuer à cela, j’en suis heureux. Et en faire des champions, en cultivant leur différence, j’aurais été utile.
Parlons donc de ton rôle au sein d’HEC Alumni Hub entreprendre ?
Je suis président du HUB entreprendre - 8 clubs, 4000 personnes, 80 meetings par an, les Mercures HEC est l’événement majeur, 35 webinars pendant le confinement, réunissant 2500 personnes.
On a même créé l’AFIP (Accompagnement Flash Individuel Personnalisé) : des entrepreneurs HEC peuvent rencontrer des experts métiers.
Notre rôle est particulier :
Encourager des initiatives entrepreneuriales (comme ‘find your co-founder). On fournit un espace d’échange et d’entraide (on ne dit plus "comment tu fais ça, toi ?” mais “tu connais pas quelqu’un qui… ?”). On se concentre sur la création d’une bonne dynamique de système. L'entrepreneuriat à HEC, est passé “d’une anomalie génétique” à “une contagion virale” puis “à une pandémie jubilatoire” !
On pense que tout ce qui fonctionne au-delà du raisonnable, c’est ce qui émane de l’initiative spontanée, portée par les entrepreneurs. Je pense à Ford, à Edison, Bill Gates, Elon Musk…
Au niveau de l’école, au-delà du raisonnable, on a le startup Launchpad. Ils n’ont pas été fortement encouragés au départ, et regardez aujourd’hui…quel programme, et quel succès !
On a aussi l’incubateur, impressionnant par sa volumétrie. Parti d’une dizaine de personnes qui cherchaient désespérément un endroit où se réunir à l’école… c’est aujourd’hui 200 postes et plus de 80 startups... et ce n’est pas fini !
Ma priorité au niveau du HUB entreprendre est de porter les initiatives qu’on repère sur le terrain, créer un terreau pour qu’y naissent ces initiatives qui deviendront de grand succès.
Dans les 5 prochaines années, on doit accompagner un changement radical de dimension et de génération d'entrepreneurs.
Dans moins de 5 ans, on aura dans la communauté HEC un groupe important de nouvelles réussites.
"On a aussi l’incubateur HEC, à Station F, impressionnant par sa volumétrie. Parti d’une dizaine de personnes qui cherchaient désespérément un endroit où se réunir à l’école…C’est aujourd’hui 200 postes et plus de 80 startups... et ce n’est pas fini !"
As-tu des anecdotes drôles à nous raconter ?
Pour illustrer la culture de la différence, quand on a fait le premier Barcamp Hec Alumni-Google avec Jacques Birol et Jean Luc Roux, on voulait faire se rencontrer des tech et des sales (moitié épicier, moitié tech) : Polytechnique, Epitech, 42, et Telecom Paris.
On avait des futures vedettes (les "famous" entrepreneurs comme Stanislas Niox-Chateau, Céline Lazorthes) mais aussi de très jeunes entrepreneurs.
Dans ce truc là, on a monté le “Blazer pitch” : le concept : pitcher en caleçon avec un blazer en une minute.
Une magie folle ; tout le monde (plus de 350 personnes) a oublié que les gens étaient en slip, parce que cela fonctionnait sur l’énergie !
On en a retenu qu’il fallait toujours avoir quelque chose de palpable à montrer. En lien avec ta proposition de valeur.
Pour exemple, on peut voir Arthur Mesnard avec Spartan (maintenant Lambs)
Ou encore l'exemple de Urban Canopee, par Elodie Grimoin.
Est-ce que tes méthodes à toi ont changé par rapport à celles que t’ont enseignées les grands groupes dans les années 80 et 90 ?
Oui évidemment, mes méthodes ont radicalement changé. On passe d’une période où les choses étaient prévisibles, en croissance, avec des ressources abondantes ; tout était “the bigger the better”.
Aujourd’hui on change de paradigme : on a moins de ressources, on est dans l’incertitude, et on est en décroissance.
Il en est de même de nos interrelations... comme l’illustre un célèbre cartooniste de la Silicon Valley, Hugh MacLeod.
"Cultivez votre différence !"
Un conseil à donner ?
Cultivez votre différence.
Ceux qui ne sont que tech ou que impact, ne cochent pas cette case, car ils pensent que leur statut suffit à cultiver leur différence mais c’est faux.
Et si je devais MOI, aujourd’hui, créer un incubateur/ accélérateur, je le baserai sur la culture de la différence.
À quoi ressemblerait ton agence de design aujourd’hui ?
Pour mettre un nouvel état d’esprit dans le design, Re-commencer par le désir.
Tout commence par le désir. Sans désir, pas de plaisir ni d’envie. Sans envie, pas d’achat.
Dans chaque produit il y a une singularité qui fait son originalité et sa justification en termes de marketing.
Rendre désirable et remarquable cette exception (La différence), c’est la stratégie d’expression du désir. Et je créerais "l’Atelier du Désir".
Un dernier mot ?
J’aimerais parler de mon apprentissage à l’incubateur.
Pendant le 1er confinement , j’ai rebondi sur ce que je fais à l’incubateur, pour alimenter et aider les ETI et PME.
Pour surmonter une crise qui est atypique et ambigüe, il faut trouver et déployer des moyens atypiques.
Avec les startups, j’aide à sécuriser une hyper-croissance, dans un contexte chaotique.
Pour les PME/ETI j’ai adapté et condensé ma méthode, issue des enseignements de l'accompagnement one-to-one de startups, afin de les accompagner spécifiquement des PME et des ETI sur un temps court.
"Et si je devais MOI, aujourd’hui, créer un incubateur/ accélérateur,
je le baserai sur la culture de la différence."
Pourquoi ? Pour les aider à faire face à l’incertitude et réussir à mobiliser leurs équipes dans les aléas de l'opérationnel.
En amont, on s’appuie sur la raison d'être (le "Why") - et les éléments fondateurs, et en aval on applique des méthodes d'organisation de grands groupes (en termes de défis, de priorités et de plan de marche), mais en impliquant les équipes pour se projeter dans le futur (on y ajoute de l’intelligence collective et de la capacité de réactivité).
J’aimerais que toutes ces entreprises, peu importe leur taille, sortent renforcées de cette crise, avec de nouvelles opportunités.