Yasmine
Chers donateurs, chères donatrices de la Fondation HEC,
Je viens de loin, et de si près à la fois. On peut tout à fait dire que sur le papier, absolument rien ne me destinait à entrer à HEC. J’ai grandi à quelques kilomètres du périphérique parisien, dans une banlieue empruntant à Le Corbusier ce qu’il a fait de plus laid vidé de sa dimension sociale. J’ai donc commencé ma scolarité dans un établissement dit « difficile ». J’y ai reçu un enseignement remarquable de la part d’instituteurs passionnés et engagés, qui m’ont donné un goût féroce pour la lecture et une obsession presque maniaque pour la grammaire française. Je tiens aussi à leur rendre hommage. Mais, pour ne rien cacher de ce que cet univers avait de violent, j’ai aussi appris à me battre (physiquement) très tôt car c’est un élément de survie, et je n’avais pas quitté les bancs de l’école élémentaire qu’il était possible de se procurer de la drogue dans mon établissement.
J’ai grandi dans une famille d’immigrés, pas indigente mais très modeste. Je n’ai jamais eu de chambre ou de bureau à moi, et les petits plaisirs étaient rares, mais je ne manquais de rien d’essentiel. De là où je viens, avoir le bac est une fin en soi, personne ne sait ce qu’est une prépa, et HEC, on a vaguement entendu le nom, mais « c’est un truc de ouf », d’un autre monde, d’une autre planète. Ce n’est pas pour nous, alors, on n’y pense même pas. Non, en fait, on n’en parle même pas, l’absence sémantique étant le reflet de l’inexistence conceptuelle.
J’ai eu la chance d’avoir une mère qui n’a cessé de me dire que seul le travail à l’école me permettrait de m’en sortir, et j’ai gardé cette conviction profondément ancrée en moi. Les résultats scolaires ont suivi, et chemin faisant, au lycée, j’appris par un professeur ce qu’était une prépa. Ayant de bons résultats un peu partout, affectionnant autant Aristote que Thalès, je songeais à aller en prépa HEC, j’hésitais avec une prépa scientifique. C’est alors que ma mère me fit comprendre que financièrement, une école de commerce aurait été l’enfer, contrairement à une école d’ingénieurs. Même l’accès à un prêt était difficile, puisque mes parents n’étant pas propriétaires, je n’avais pas de possibilité de garants. Sans compter le coût de la vie. Plus de 10000 € par an de frais de scolarité, c’était tout simplement inimaginable. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, j’ai donc opté pour une prépa scientifique, avec un léger regret mais ma passion pour les sciences était comblée par ce choix. Bien qu’elle n’en ait pas été l’unique facteur, la pression financière qui découlait de l’option prépa commerciale a été décisive. Quelques années plus tard, en école d’ingénieurs, j’ai eu l’occasion de repasser un concours pour une admission en double diplôme. La possibilité d’intégrer HEC, rêve que j’avais pris soin d’oublier depuis, s’offrit à nouveau à moi. La pression financière n’avait pas changé, mais ce qui avait changé, c’était la possibilité pour les élèves boursiers d’obtenir une bourse de la Fondation qui les exonèrerait de tout ou partie des frais de scolarité.
Sans cette possibilité, je le dis, je n’aurais même pas tenté le concours. C’était un rêve inaccessible qui l’est devenu. J’ai réussi à intégrer HEC et je suis tous les jours étonnée par ce que m’apporte cette école, la richesse intellectuelle et personnelle des gens qui la composent, le bouillonnement d’idées qui y couve. J’y grandis et je m’y inspire. Et pour cela, je vous dis merci. Merci d’avoir détruit une barrière matérielle et de m’avoir permis de vivre mon rêve. Quand je retourne dans ma banlieue, j’essaie de convaincre les jeunes de croire à leur talent, parce que des gens comme vous sont leur bonne étoile. Il faut un peu forcer le destin, mais il y a alors des anges gardiens.
Lorsque j’ai commencé à vous écrire cette lettre de remerciements, je pensais n’avoir rien à dire, elle est pourtant bien longue. Merci se dit en un mot comme en mille, mais ce message ne vit que s’il est incarné par une histoire, une image, une vie.
Vous dire simplement merci, ce n’était pas assez, cela aurait été presque insipide. Cela n’aurait pas rendu hommage aux milles chemins de vie que vous ouvrez aux jeunes que vous aidez, ni ne retranscrit la puissance et la beauté de votre geste.
Je n’ai pas l’outrecuidance de penser que j’ai su faire cela, mais j’ai songé que peut-être, simplement vous raconter mon histoire vous permettrait de réaliser à quel point votre implication dans la Fondation HEC peut participer concrètement à faire évoluer la société française, et à susciter l’ambition chez des jeunes qui ne s’imaginent même pas en avoir le droit. J’ai hâte de pouvoir faire le même plus tard, et prouver aux sceptiques que la solidarité est un ciment puissant.
Avec toute ma profonde gratitude,
Yasmine (H.15)