Hubert Joly aux HEC Talks : « Nous sommes tous en chemin pour devenir de meilleurs leaders »
S'exprimant à la fois devant la centaine de personnes présentes à l'amphithéâtre Blondeau et une très large audience sur Internet, Hubert Joly (H81) a voulu dévoiler les secrets de ses réussites. Ils étaient déjà au cœur de son best-seller paru en 2021, The Heart of Business: Leadership Principles for the Next Era of Capitalism. L'ouvrage a été traduit dans plus d'une douzaine de langues, dont la dernière en date en version française, sous le titre « L’entreprise, une affaire de cœur », le 25 janvier dernier… le jour même de son échange avec les étudiants d’HEC, issus notamment de son programme EMBA.
(© Ciprian Olteanu - Madetoshow.com)
Sortir de la gestion quotidienne des affaires a fait du bien à Hubert Joly. L'ancien PDG de Best Buy a ainsi pu endosser, avec une aisance remarquable, un nouveau costume : celui d'auteur à succès, et de maître de conférences à la Harvard Business School. « L'appel à l'action » formulé par Hubert Joly tout au long des 266 pages de son dernier ouvrage, où il place les collaborateurs et la quête de sens « au cœur de l'entreprise », vient consolider sa réputation : celle d'un des meilleurs experts mondiaux en management, comme l'a relevé Thinkers50. Ce livre vient tout juste après une carrière brillante dans le monde des affaires, qui s'est officiellement terminée en juin 2020 lorsqu'il a démissionné de son poste de président exécutif de Best Buy. Rodolphe Durand, directeur académique de l'Institut Society et Organizations, l’a rappelé dans son discours d'ouverture : Hubert Joly a été reconnu comme l'un des 30 meilleurs PDG au monde par Barron's. « Non seulement il a transformé Best Buy, passée du statut d'entreprise moribonde à celui d’un leader de son secteur », a souligné le professeur titulaire de la Joly Family Purposeful Leadership Chair d’HEC Paris, « mais il en a également fait l'un des meilleurs endroits où travailler aux États-Unis. »
Cette conférence HEC Talks du 25 janvier n’est pas le premier engagement d’Hubert Joly auprès de la communauté HEC. En septembre 2018, il officialisait ainsi un don personnel d’ampleur historique à l'école pour soutenir la recherche sur le purposeful leadership. Et en mai 2020, le dirigeant d’entreprise originaire de Nancy partageait avec Rodolphe Durand sa vision à long terme pour réinventer le capitalisme.
Peu avant cet échange de près d’une heure et demie avec le public présent sur le campus d’HEC et en streaming, Hubert Joly a bien voulu partager avec nous ses réflexions sur ses 40 ans de carrière.
Vous attendiez-vous à ce que votre livre suscite un tel engouement, plus de 60.000 exemplaires vendus en huit mois, des traductions en 15 langues, et un succès qui se poursuit encore ?
J'espérais un bon accueil, je l'admets. Mais ça ! Des traductions en mongol, en géorgien, en chinois, en brésilien... Qui l'aurait cru ? Mais bien sûr, on ne sait jamais ce qui peut arriver, on ne contrôle pas le succès.
J'ai écrit The Heart of Business pour tous les leaders : chacun d'entre nous est un leader, un leader de sa propre vie. Ce livre s'adresse à tout leader qui souhaite faire de l'entreprise une force du bien. L'acte d'écrire fait donc partie d’une recherche d’épanouissement, de notre quête de sens.
La société comprend désormais que l'entreprise n'est pas qu'une affaire de profit, que l'entreprise peut être une force bénéfique. D'accord, mais nous savons aussi que ce chemin est difficile. Parce qu'elle exige que nous soyons clairs sur notre objectif. Il nous faut repenser l'entreprise en fonction de la poursuite d'un objectif noble, en plaçant les personnes au centre, en englobant toutes les parties prenantes dans une déclaration d'interdépendance. En d'autres termes, nous devons traiter le profit comme un résultat.
Cela exige de nous, en tant que leaders, de ne plus être la personne la plus intelligente de la pièce, mais quelqu'un qui est là pour créer le bon type d'environnement, afin que chacun dans l'entreprise soit la plus grande, la meilleure et la plus belle version d’elle-même ou de lui-même pour soutenir la mission de l'entreprise. Oui, c'est un travail exigeant, mais j'espère que ce livre pourra nous aider.
L'un des aspects que vous évoquez est ce que vous appelez « la tyrannie de la valeur actionnariale ». Comment dépasser cette tyrannie ?
Eh bien, vous y parvenez en réalisant que les bénéfices peuvent être un impératif - bien sûr, vous devez faire de l'argent - mais qu’ils sont aussi un résultat. Ce n'est donc pas seulement en travaillant que l'on génère du profit, mais en s'assurant que l'on dispose d’une bonne équipe, capable de satisfaire les clients. C'est ce qui permet de réaliser de grands bénéfices. Le profit est une conséquence, mais ce n'est pas le but ultime des affaires. Je crois fermement - et c'est la thèse du livre - que l'entreprise doit poursuivre un objectif noble. Très concrètement, si j'avais dit aux collaborateurs en 2012, quand je suis devenu PDG de Best Buy : « Ça va être formidable, nous allons doubler les bénéfices », je ne pense pas que les équipes auraient été motivées. Et je ne pense pas que nous aurions vu le cours de l'action passer de 11 à 110 dollars. Ce n'est pas en se concentrant sur les profits que vous les maximisez réellement.
Un point que vous soulignez avec sincérité, c'est l'importance du coaching pour tout le monde, du sommet à la base. Cela semble presque être une pierre angulaire pour vous. Et pourtant, vous dites que c'est un sujet tabou, un peu comme d'admettre que l'on va voir un psychiatre ou un psychologue. Dans les deux cas, les gens pensent : « Oh non, non, vous devez être faible par certains côtés ! ». Quel a été pour vous l'élément le plus important du coaching et comment pensez-vous que les dirigeants peuvent en bénéficier ?
Eh bien, il y a un paradoxe ici. Si vous prenez un sport comme le tennis, 100% des 100 meilleurs joueurs de tennis du monde ont un coach. En fait, ils ont plusieurs coachs : il y a un coach technique, probablement un coach culinaire, un coach mental. Les meilleurs athlètes savent qu'ils ont besoin d'aide. Et savoir que l'on a besoin d'aide est un signe de force. Pourquoi serait-ce différent pour nous, chefs d'entreprise ? Qui dit que le besoin d'aide est un signe de faiblesse ? C'est complètement fou. J'ai un coach en permanence depuis 2009. Au début, oui, j'étais en fait sceptique à l'égard du coaching. À l'époque, je pensais qu'engager un coach était une solution de rattrapage pour quelqu'un qui a des problèmes. Et puis je suis tombé sur Marshall Goldsmith, le père spirituel de tous les coachs de dirigeants, qui se spécialise dans l'aide aux dirigeants qui parviennent à s'améliorer. C'est un état d'esprit formidable ! Qui ne réussit pas à s'améliorer ? Demandez à vos amis s'il n'y a aucun domaine où ils ne peuvent s'améliorer ? Si l'un d'entre eux vous répond : « Non, il n'y a rien que je puisse améliorer », répondez-lui : « Et si tu essayais de travailler l'humilité ? ».
Marshall a ce merveilleux concept, celui de « Feedforward ». Il y a le feedback, je ne peux pas changer le passé, mais le « feedforward » ? En regardant vers l'avenir, quelles sont les choses pour lesquelles j'aimerais m'améliorer ? J’en fais l’inventaire, puis je demande conseil...
En quoi ces échanges avec Marshall Goldsmith vous ont-ils rendu meilleur ?
Il m'a aidé à accepter le feedback. Il m'a aidé à comprendre que mon rôle de leader n'était pas d'être la personne la plus intelligente de la pièce, mais de créer un environnement dans lequel les autres pouvaient réussir. C'est un immense changement de mentalité.
Une dernière question : depuis sa publication en mai dernier, votre livre a reçu de nombreux éloges de la part d'un panel impressionnant de leaders mondiaux, de Jeff Bezos à Aicha Evans. Selon vous, dans quelle mesure sont-ils proches de votre style de leadership et que pourraient-ils apprendre de ce livre ?
La plupart des dirigeants que je connais sont convaincus que l'entreprise est une force du bien : prendre soin des employés, prendre soin de toutes les parties prenantes... c'est la bonne direction. Et je pense que c'est le cas pour l'écrasante majorité des dirigeants. En même temps, je pense que nous sommes tous en train de devenir meilleurs dans ce domaine. Parce que beaucoup de choses évoluent. Je vois donc des leaders extraordinaires et je les admire. Satya Nadella, John Donahoe et Aisha Evans m'inspirent tous par leur parcours. Nous sommes tous des compagnons de route dans un voyage qui nous permettra de devenir de meilleurs leaders.
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