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Au moment où la pandémie de coronavirus a éclaté, la plupart des gens attendaient le retour à la normale. Pour Anne-Sophie Chaxel, professeur de marketing à HEC Paris, attendre n’est pas une option. Vous devriez prendre des décisions dès maintenant, surtout si vous êtes un leader. Mais comment décider en période d'incertitude ? « Tout commence avec les biais », répond Anne-Sophie Chaxel. Si vous pouvez vous libérer de certains biais, vous pourrez probablement gérer un avenir imprévisible et être plus à même de prendre des décisions constructives

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Les biais sont imprimés dans notre cerveau

Vous est-il déjà arrivé de rester chez vous un jour d'élection, parce que vous pensiez que votre parti politique préféré allait gagner ? Si tel est le cas, vous êtes peut-être optimiste, mais aussi sous l’effet de certains biais. Nous avons tous connu cette tendance à « nous bercer d’illusions » au début de la pandémie de Covid-19. Chacun de nous, et plus particulièrement les dirigeants des différents pays, a tardé à réagir parce que nous avons tous fait preuve d’optimisme. « Les gens ont tendance à considérer que les événements souhaitables ont plus de chance de se produire », confirme le professeur Chaxel, qui souligne : « Avec la Covid-19, nous étions encore plus susceptibles de penser que cela n'arriverait pas parce que nous ne voulions pas que cela se produise. Ce biais rend difficile la gestion de l’incertitude pour les dirigeants. »

 

Qu'est-ce qui nourrit l'incertitude et comment y faire face ?

Depuis de nombreuses années, Anne-Sophie Chaxel mène des recherches à la fois sur le traitement et la distorsion des informations. Ses travaux l'ont amenée à catégoriser trois principales sources d'incertitude. Premièrement, les données. En raison de modèles mentaux, qui nous font collecter les informations que nous connaissons, nous avons tendance à accorder trop d'importance aux données disponibles (et accessibles mentalement). Au début de la pandémie, les Européens se sont basés sur les informations qu'ils connaissaient déjà, telles que des données sur la crise grippale. Ce modèle mental a déformé leur jugement car ces derniers ont accordé trop de valeur à ces informations potentiellement peu fiables et n’ont pas tenu compte des facteurs inconnus autour du le virus. Comprendre l'incertitude des données, remettre en question la représentativité de vos données et utiliser plusieurs sources est essentiel si vous voulez éviter les erreurs d'interprétation.

Deuxièmement, nous-mêmes. Lors de l'analyse d'une situation, notre méta-connaissance (ce que nous pensons savoir de nos connaissances) peut provoquer un excès de confiance. Remettre en question ce que nous savons et ce que nous pensons savoir est fondamental. « La construction d'intervalles de confiance peut avoir un impact profond sur l'incertitude », explique le professeur Chaxel. En calibrant votre intervalle de confiance, vous pouvez faire des estimations plus efficaces et trouver des solutions. « Si vous savez que vos connaissances primaires sont insuffisantes, vous continuerez à cher-cher des informations. Mais si vous ne savez pas ce que vous ne savez pas, vous cesserez de chercher. C'est à ce moment qu’apparaissent les biais dans vos décisions, simplement parce que vous pensez avoir des données suffisantes alors que ce n’est pas le cas. » Le professeur Chaxel recommande ainsi de remettre en cause nos méta-connaissances, de réfléchir à ce que nous ne savons pas, de déterminer des plages de confiance pour toute estimation, de tenir compte de l'incertitude et de rechercher un retour d'information continu.

Troisièmement, les autres. « Nous devrions toujours faire attention aux données que nous recevons des experts ». Nous devons recueillir des données auprès de différents experts, rechercher des spécialistes aux points de vue divergents pour établir de meilleurs intervalles de confiance et, bien sûr, envisager d'autres sources. « Parfois, aucune connaissance vaut mieux qu'une connaissance absurde », ajoute-t-elle, « parce que vous arrêterez de chercher des informations et prendrez une décision tout de suite ». La meilleure façon de gérer l'incertitude, affirme Anne-Sophie Chaxel, est en con-séquence de la respecter.

 

Développez vos connaissances avant d'interpréter les informations

Un autre aspect des recherches d’Anne-Sophie Chaxel consiste à analyser les biais dans l’interprétation des informations ambiguës. Le modèle « Je sais ce que je sais » fait que nous analysons de nouvelles informations de manière à confirmer nos croyances existantes. Cette distorsion de l'information peut conduire à des opinions plus tranchées, moins de créativité, plus de stéréotypes et de polarisation. Dans cette période critique où nous devons travailler ensemble, nous ne pouvons pas nous per-mettre de développer ces tendances. Nous devrions plutôt remettre en question le statu quo : « Soyez conscient de votre tendance naturelle à protéger vos croyances et valorisez l'opinion des per-sonnes qui combattent le statu quo », déclare-t-elle.

Nous désirons tous reprendre le contrôle de notre monde. Au lieu de chercher à contrôler des événements incontrôlables, les gens devraient reprendre le contrôle de ce qui est contrôlable, par exemple leur processus de réflexion et certains aspects de leur prise de décision ou de leur vie. Les dirigeants doivent donc faire des plans à court terme et être très flexibles.

Enfin, personne n'obtiendra le résultat souhaité. Le résultat attendu ne se produira jamais dans des environnements incertains. C'est pourquoi il est important de changer la façon dont vous mesurez le succès : validez les critères clés pour prendre une décision solide basée sur les processus au lieu de valoriser le résultat. En d'autres termes, attendez-vous à ce que le plan ne respecte pas le plan, et acceptez-le.

 

Anne-Sophie Chaxel
Anne Sophie Chaxel

 

Pour prendre de meilleures décisions face à l'incertitude, développez rapidement certaines connaissances

Bien que l’approche attentiste soit tentante dans des environnements incertains, Anne-Sophie Chaxel conseille une autre attitude : « Prévoyez des plans dès maintenant même s’ils ne sont pas parfaits et obtenez un retour d’information rapide pour apprendre de votre expérience ». Le fait d’apprendre rapidement à partir de l'expérience, d’obtenir un retour d’information et d’aller de l'avant joue un rôle crucial dans la prise de meilleures décisions. Si l'apprentissage est essentiel, nous devons faire la distinction entre l'expérience et l'apprentissage : « Expérience ne veut pas dire apprentissage. Vous n'allez pas apprendre grand-chose du résultat, car le résultat est l'expérience en soi », confirme-t-elle. D'autre part, l'apprentissage vient d'une bonne compréhension des causes de ce résultat. Les décideurs doivent s'appuyer sur un apprentissage rapide à partir de l'expérience et de courtes boucles de rétroaction plutôt que d'espérer une solution qui change la donne. « Une mise à jour constante et des améliorations continues de vos plans se produiront à mesure que de meilleures informations seront disponibles sur ce qui fonctionne ou non », ajoute le professeur Chaxel.

Cependant, deux biais majeurs peuvent survenir lorsque l'on essaie de tirer les leçons de l'expérience en période d’incertitude. Premièrement, le biais de rétribution, qui nous fait penser que notre réussite vient de nos compétences, et nos échecs de la malchance. En ce qui concerne les autres, nous adoptons l'interprétation inverse. Leurs échecs sont liés à leurs compétences, tandis que leur succès à la chance. L'autre biais, le biais rétrospectif, se produit lorsque les gens croient qu'un événement est plus prévisible une fois qu'il est connu. Il est en effet plus facile d'analyser une situation une fois que l'on en connaît les résultats. Pour éviter ce biais « après coup », le professeur Chaxel invite les dirigeants à se montrer innovants en organisant des pré-mortems et à susciter un enthousiasme pour l’apprentissage et non pour les résultats. « Lorsque vous prenez une décision, essayez d'accepter vos échecs passés et analysez à l'avance toutes les raisons pour lesquelles vous avez échoué. Cela vous permettra de distinguer ce que vous pouvez contrôler ou non », ajoute-t-elle.

 

Que doivent faire les dirigeants et les cadres pour montrer la voie en période d’incertitude ?

Plus que jamais, les employés et les clients ont soif d'informations et attendent des annonces fiables, ainsi que des décideurs sérieux et capables d'interpréter ces informations et d’y répondre. Une communication claire et planifiée est par conséquent plus importante encore qu’en temps normal. Parce que les gens connaissent des niveaux de stress plus élevés, les dirigeants doivent se concentrer sur le « pourquoi » (pourquoi demandent-ils aux employés d’effectuer une tâche spécifique) plutôt que sur le « quoi » et le « comment ».

Le coronavirus a eu un impact sur notre capacité à penser avec clarté. Il défie notre humanité et met à l'épreuve notre capacité à réagir avec intelligence face à l'incertitude. Heureusement, nous savons comment fonctionne l'incertitude et comment elle influe sur notre réflexion. « Respecter l'incertitude, élargir ses connaissances et renforcer rapidement certaines connaissances est le meilleur moyen de créer de l'intelligence face à l'incertitude et de prendre de meilleures décisions », conclut Anne-Sophie Chaxel.

 

Cet article est basé sur le webinaire HEC Paris Insights Webinar: Creating Intelligence in the Face of Uncertainty.