De la culture du jetable à la durabilité : le pari audacieux d'ElectroDépôt
Alors que la réglementation se durcit et que les ressources naturelles s’amenuisent, les modèles économiques traditionnels, basés sur l’extraction et la consommation rapide, montrent leurs limites. Face aux attentes croissantes des consommateurs, de plus en plus d’entreprises se retrouvent à un tournant critique : comment concilier performance économique et responsabilité écologique ?
Stéphane Belot, Directeur de la Transition Écologique et Sociétale, et intervenant dans le Global Executive Master In Management - Majeure Change & Sustainability de HEC Paris, incarne ce changement. Avec son expérience dans la grande distribution et son rôle clé dans la transformation d’ElectroDépôt, il illustre les défis – et les opportunités – d’un tel virage stratégique. « Nous sommes confrontés à un choix simple : continuer comme avant ou transformer nos modèles pour les rendre résilients et durables », explique-t-il. À travers sa propre expérience, il montre qu’un changement de cap est non seulement possible, mais aussi porteur de valeur pour les entreprises, leurs clients et la planète.
Un modèle qui tourne à plein régime… mais à quel prix ?
Derrière les performances d’entreprises prospères, se cache une logique linéaire devenue incompatible avec les défis écologiques d’aujourd’hui. Une remise en question s’impose.
ElectroDépôt : l’héritage du « tout jetable » en question
ElectroDépôt s’est imposée comme un acteur incontournable de la distribution d’électroménager et de produits multimédia en Europe. Avec près de 100 magasins répartis en France, en Belgique et en Espagne, et un chiffre d’affaires annuel de 1,3 milliard d’euros hors taxes, l’entreprise connaît une croissance ininterrompue depuis sa création il y a 20 ans. Forte d’une stratégie omnicanale bien rodée – où 90 % des ventes en ligne sont récupérées en magasin –, elle a su combiner accessibilité des prix, rentabilité et fidélité de ses clients.
Cette réussite repose sur un modèle économique performant, mais linéaire : une offre de produits neufs à bas prix, qui dominent leur catégorie sur le marché. Stéphane Belot, Directeur de la Transition Écologique et Sociétale chez ElectroDépôt, ne mâche pas ses mots pour en parler :
« L’ancien modèle d’Electro-Dépôt est l’exemple parfait d’une économie linéaire et extractive. Nous vendions des produits très peu chers, souvent importés de Chine, et qui n’étaient pas conçus pour durer. »
Ce système repose sur l’extraction massive de ressources naturelles pour fabriquer des biens à bas coût, souvent au mépris de l’environnement. Le résultat ? Une culture du jetable. « Qui va réparer un grille-pain à 9,90 € ? Personne. Il coûte moins cher de le remplacer que de le réparer », résume-t-il.
La logique du « toujours plus » – produire, vendre, consommer – est pourtant profondément ancrée. Stéphane Belot se souvient de son passage chez Auchan :
« L’objectif était clair : vendre davantage, à plus de clients, et à des prix toujours plus bas. Tout était conçu pour encourager la consommation de masse. »
Mais elle a un coût : déchets qui s’accumulent, gaspillage des ressources et impact environnemental dévastateur. Des produits conçus pour durer peu de temps finissent en décharge, aggravant encore les dégâts. Pour Stéphane Belot, l’heure est à la remise en question : « Nous sommes confrontés aux limites de la planète. Soit nous continuons comme avant en fermant les yeux, soit nous transformons notre modèle pour qu’il devienne durable et résilient. »
Quand les signaux d’alerte se multiplient
La réglementation n'arrête pas d’évoluer à ce sujet. « Il n'y a pas un mois sans qu'il n'y ait une nouvelle loi, un nouveau décret, une nouvelle taxe, un nouvel indice », constate Stéphane Belot. Dans la distribution et l’électroménager, cela se traduit par des obligations concrètes, comme l’indice de réparabilité ou des bonus-malus environnementaux.
« Si la batterie de votre aspirateur n'est pas détachable, vous risquez un malus de 5 ou 10 euros par pièce. C'est colossal. Mais en anticipant, on peut rester du bon côté de la barrière », avertit-il.
Les consommateurs aussi évoluent. De plus en plus sensibilisés aux enjeux environnementaux, ils attendent des entreprises des engagements concrets. « On reste attachés à la possession d’objets neufs, mais l’achat de produits de seconde vie explose », note Stéphane Belot, citant Vinted comme exemple de révolution dans le textile. Pour le secteur de l’électroménager, il pose la question : « Est-ce qu’on continue à jeter un vieux micro-ondes ou est-ce qu’on explore des solutions comme la réparation, le reconditionnement ou le réemploi ? » Les entreprises doivent s’adapter, en proposant des alternatives qui répondent à cette demande croissante de durabilité.
Enfin, la raréfaction des ressources naturelles amplifie la pression sur les coûts de production. « Tout le monde sait que nous avançons à grande vitesse vers un épuisement des ressources. Les prix des matériaux explosent, notamment ceux des métaux rares dans l’électronique », alerte-t-il. Cette situation est aggravée par la forte dépendance à certains pays, comme la Chine, qui contrôle l’essentiel des gisements et privatise d’autres ressources en Afrique. Cette dépendance expose les entreprises à des pénuries et à des hausses imprévisibles des coûts. « Penser que les prix des micro-ondes resteront stables est une illusion. Ils vont s’envoler », prédit Stéphane Bellot. Pour se prémunir, les entreprises doivent innover : réduire leur consommation de matières premières, recycler ou relocaliser leur production.
Les clés pour bâtir un modèle durable
Face à l’urgence climatique, des solutions concrètes émergent : mesurer son impact, concevoir des produits durables et collaborer à tous les niveaux. Ces leviers sont essentiels pour construire un avenir plus résilient.
Chiffrez, agissez, transformez
Pour agir efficacement, il faut d’abord mesurer son impact. « Faites votre bilan carbone », martèle Stéphane Bellot. Chez ElectroDépôt, cet exercice a été une révélation.
« Je pensais que nos camions étaient les plus gros pollueurs, mais en réalité, 90 % de nos émissions viennent des produits que nous vendons », explique-t-il.
Par exemple, un micro-ondes de 12 kg nécessite 100 kg de matières premières pour être fabriqué, ce qui inclut l’extraction de métaux et de plastiques dans des conditions souvent peu durables.
Une fois ce diagnostic établi, ElectroDépôt a pu orienter ses efforts là où l’impact serait le plus significatif. « Ce n’est pas en supprimant les gobelets à la cafétéria qu’on va changer la donne », rappelle-t-il.
Résultat : l’entreprise vise à réduire de 50 % ses émissions de CO₂ par produit vendu d’ici 2030, avec des étapes annuelles pour suivre les progrès.
Le suivi est un pilier central de cette démarche. « Nous réalisons un bilan carbone chaque année et un reporting mensuel sur l’impact carbone de nos produits », souligne Stéphane Belot. Ce suivi rigoureux permet d’identifier les leviers d’action les plus efficaces et de maintenir le cap. « Sans mesure, impossible de progresser », conclut-il. La clé, selon lui, est d’appliquer la même rigueur aux investissements environnementaux qu’aux décisions économiques.
Rendre le jetable obsolète
Pour réduire leur impact environnemental, les entreprises doivent repenser leurs produits dès leur conception. Chez ElectroDépôt, cela passe par l’éco-conception : tous les ingénieurs et acheteurs ont été formés à l’analyse des cycles de vie des produits. « Aujourd’hui, aucune famille de produits n’échappe à cette analyse », explique Stéphane Belot. L’objectif est clair : rendre les produits plus durables, plus réparables, et basculer vers des classes énergétiques A, B ou C, en supprimant les moins performantes. « Chaque micro-onde reconditionné, c’est autant de matières premières économisées », ajoute-t-il.
L’économie circulaire s’intègre également dans cette transformation. L’initiative Reconomia, par exemple, permet de reconditionner des appareils électroménagers. « Plus de la moitié des lave-linge jetés sont réparables. En travaillant avec un réseau de 120 artisans en France, nous donnons une seconde vie à ces appareils et réduisons notre empreinte carbone de 50 % en moyenne par produit reconditionné », détaille-t-il. Ce modèle soutient aussi l’économie locale, tout en offrant une alternative durable.
ElectroDépôt explore également de nouveaux modèles économiques basés sur l’usage plutôt que la possession – qui permet de répondre aux besoins ponctuels des clients tout en limitant la surconsommation. « Plutôt que d’acheter une enceinte à 149 euros, nos clients peuvent la louer pour 29 euros. C’est économique pour eux et plus durable », précise Stéphane Bellot.
Jouer collectif avec clients et partenaires
Avec ses 200 groupes fournisseurs, ElectroDépôt a intégré ses attentes en matière de durabilité dans chaque discussion. « On met la pression à tous nos fournisseurs. Si un autre va plus vite pour répondre à nos exigences environnementales, on travaille avec lui », explique Stéphane Bellot.
Malgré les difficultés liées à la transparence des données – certains fournisseurs hésitant à partager leurs informations carbone –, l’entreprise persiste : « Si Intel nous donne ses données, pourquoi pas vous ? »
ElectroDépôt accompagne aussi ses clients vers une consommation plus responsable. L’entreprise partage des astuces simples, comme vérifier l’étanchéité d’un frigo avec une feuille de papier. Elle développe également un carnet d’entretien numérique pour prolonger la durée de vie des appareils. « La vente d’un lave-linge, c’est juste le début. On veut aider les clients à le faire durer dix ans, avec des conseils, des rappels et des tutoriels », précise Stéphane Bellot. Si certains ont craint que cela freine les ventes, l’approche a renforcé la relation de confiance avec les consommateurs.
L’entreprise s’engage également aux côtés de la société civile, notamment des acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) comme Envie et Emmaüs. Par exemple, les clients peuvent choisir de donner leurs anciens produits à Emmaüs. ElectroDépôt soutient aussi un réseau d’artisans pour reconditionner les appareils, renforçant ainsi l’emploi local et les actions solidaires.
Prendre le virage d’un leadership responsable
La transformation écologique repose sur des dirigeants capables de faire des choix audacieux. Agir pour la planète tout en garantissant la pérennité de leur entreprise est le défi clé des leaders de demain.
Répondre à un devoir citoyen et patrimonial
Pour Stéphane Belot, il est impératif que les entreprises jouent leur rôle d’acteurs citoyens. « L’entreprise est un levier d’action crucial, peut-être même le plus important, entre les consommateurs et les politiques », affirme-t-il. Mais trop souvent, chacun se renvoie la balle : « Les individus attendent des politiques qu’ils agissent, les politiques blâment les entreprises, et ces dernières accusent les consommateurs. Au final, personne ne bouge. » Cette inertie n’est plus acceptable. « Maintenant qu’on sait, on ne peut plus prétendre l’ignorer. Il faut changer notre façon de vivre et de produire », insiste-t-il, évoquant un devoir moral envers la société et la planète.
Au-delà de cet engagement citoyen, il y a un enjeu patrimonial : assurer la pérennité et la valeur à long terme des entreprises. Stéphane Belot met en garde :
« Même si une entreprise est performante aujourd’hui, sa valeur diminuera si elle ne s’adapte pas. »
Pour anticiper ces bouleversements, il est essentiel de transformer les modèles économiques. « Nous devons investir dans la transition écologique, innover et repenser la création de valeur pour rendre notre entreprise résiliente dans les années à venir », conclut-il.
L'importance de l'alignement interne
Redéfinir la mission d’une entreprise est une étape clé pour mobiliser les équipes autour d’un projet porteur de sens. Chez ElectroDépôt, cette réflexion a donné naissance à une nouvelle vision : « Vivre mieux, consommer juste, ensemble réinventons l’essentiel. » En partageant cet objectif avec ses collaborateurs, ses actionnaires et ses clients, l’entreprise a offert un cap clair et motivant.
« Projeter un futur qui inspire est bien plus efficace que se concentrer uniquement sur les contraintes », explique Stéphane Belot.
Pour que cette mission soit pleinement intégrée, ElectroDépôt a misé sur une démarche participative. En novembre 2023, 800 collaborateurs en France et en Belgique ont pris part à des ateliers destinés à réfléchir à l’avenir de l’entreprise. « Ce projet a mobilisé des équipes de tous horizons pour imaginer ensemble ce que nous voulions devenir », précise Stéphane Belot. Les résultats ont ensuite été partagés sur les différents sites, de Madrid à Bruxelles. En impliquant les équipes dès le départ, l’entreprise a renforcé la cohésion interne et encouragé l’appropriation des enjeux. « C’est ensemble que nous pourrons réinventer notre modèle et le rendre durable », ajoute-t-il.
Traduire cette vision en actions demande aussi d’adapter les modes de fonctionnement. « Il faut aligner tout le système, des actionnaires aux équipiers, en passant par les modes de rémunération », note Stéphane Belot. Cette transition peut être délicate, notamment lorsque des initiatives comme la location ou les produits reconditionnés impactent les ventes traditionnelles, et donc les primes des équipes. Pour surmonter ces résistances, il est nécessaire de revoir les indicateurs de performance et les systèmes de récompense, afin de les aligner avec les objectifs écologiques.
La formation des équipes est également essentielle pour réussir cette transformation. « Nous avons organisé des Fresques du Climat pour presque tout le monde. C’était un moment fort pour mieux comprendre les enjeux », confie Stéphane Belot.
Les outils d’un changement durable
Pour conduire efficacement la transition écologique, les dirigeants doivent innover. La transition vers un modèle économique durable ne peut s'appuyer sur les méthodes traditionnelles. Elle exige une dose significative de créativité et d'audace pour imaginer de nouvelles façons de produire, de consommer et de gérer les ressources. Cela peut passer par la conception de produits éco-conçus, plus durables et facilement réparables, ou par le développement de services innovants qui encouragent la réutilisation et le partage plutôt que la possession individuelle. « Si quelqu’un a déjà toutes les solutions pour un modèle circulaire rentable, je suis preneur ! », plaisante Stéphane Belot.
Conduire le changement demande également du courage. « Il faudra parfois dire non à son patron ou à ses actionnaires », prévient-il. Modifier un modèle traditionnel peut générer des résistances, surtout si cela impacte les performances à court terme. « Mais c’est un pari sur l’avenir. Il faut construire une entreprise plus robuste et résiliente », ajoute-t-il. Pour Stéphane Belot, c’est là que se distingue un vrai leader : sa capacité à prendre des décisions audacieuses, même difficiles, dans l’intérêt à long terme de l’entreprise.
Être à la hauteur de ces enjeux nécessite aussi une formation approfondie et stratégique. Stéphane Belot le reconnaît : « Quand j’ai commencé, j’avais l’envie mais aucune compétence. » Comprendre des sujets techniques comme le bilan carbone ou l’analyse du cycle de vie est essentiel pour piloter efficacement la transition. Ces connaissances permettent d’agir de manière éclairée et d’entraîner les équipes dans cette transformation. Les dirigeants, en particulier, doivent s’armer des outils nécessaires pour innover, collaborer et prendre des décisions audacieuses, même face à des résistances.
C’est exactement ce que propose le Global Executive Master in Management (GEMM) – Majeure Change & Sustainability d’HEC Paris. Ce programme unique s’adresse aux dirigeants et managers en quête de solutions concrètes pour répondre aux grands défis du développement durable.
Organisé autour de 9 modules en 36 jours, avec un voyage d’études en Suède, il permet de maîtriser des compétences clés comme la gestion stratégique, l’innovation pour un modèle bas carbone, et la conduite de changement au sein des organisations. Grâce à une approche pédagogique tri-dimensionnelle – environnement et société (macro), organisations (méso) et leadership (micro) – ce master offre une vision globale et opérationnelle des transitions à venir. Que vous soyez directeur général, responsable de business unit ou leader en charge de la RSE, cette formation vous accompagne pour transformer votre entreprise tout en respectant les limites planétaires.
Pour en savoir plus sur ce programme bilingue et rejoindre un réseau de leaders engagés, téléchargez la brochure ou préinscrivez-vous à la prochaine session.
La transition écologique commence par un premier pas : le vôtre.