L'innovation face aux enjeux environnementaux et sociétaux
Laurence Lehmann-Ortega est professeure en Stratégie et Politique d’entreprise à HEC Paris (grande école, MBA et Executive Education) depuis 11 ans. Experte de l’innovation stratégique, elle s’intéresse à la manière dont les entreprises peuvent réinventer leurs business models pour faire face aux enjeux actuels. Son point de vue est d’autant plus intéressant avec la crise sanitaire actuelle, qui invite les entreprises à adopter des politiques d’innovation stratégique.
Les entreprises dans la lutte face au réchauffement climatique
Dans la lutte contre le réchauffement climatique, les entreprises ont une place importante. Leur rôle est même prépondérant : sur les 100 premières puissances économiques mondiales, 70 sont des entreprises tandis que 30 sont des États.
En changeant leur mode de production ou même leur cœur d’activité, elles peuvent avoir un impact dans le monde entier. Leurs facultés d’adaptation et de changement sont souvent plus étendues que celles de nos États.
Dans ce contexte, comment les convaincre de l’intérêt de mener des politiques de développement durable au sens large (écologique, social et économique) ? Et comment adopter une stratégie de RSE efficace ?
L’enjeu : adopter un business model adapté aux enjeux futurs
Trois raisons peuvent inciter les entreprises à adopter cette stratégie.
- Le principe éthique : certains patrons, convaincus à titre personnel de la nécessité de changer les choses, poussent naturellement leur entreprise dans ce changement de paradigme.
- L’enjeu commercial : de plus en plus de consommateurs mettent un point d’honneur à consommer de manière responsable, c'est-à-dire des produits et services à moindre impact sociétal et environnemental. Pour ne pas risquer de perdre des parts de marché au profit de la concurrence, les entreprises doivent répondre à cette demande forte.
- L’enjeu de survie, à moyen ou long terme : certaines entreprises sont en péril, à l’image de celles qui ont misé sur des ressources ou des matières premières limitées. C’est aussi le cas de celles qui n’ont pas assez anticipé les changements climatiques et font partie des premières concernées, telles que les compagnies d’assurance, ou les groupes immobiliers possédant des propriétés en bord de mer, qui ne seront plus exploitables en cas de montée des eaux ou d’érosion forte du littoral.
Enfin, les actionnaires commencent eux-aussi à demander aux entreprises de s’impliquer sur ces sujets brûlants. Comme l’ensemble des citoyens, ils prennent conscience qu’il s’agit d’une question de survie à plus ou moins long terme.
Même pour les entreprises dont l’activité n’est pas directement impactée par le changement climatique, l’intérêt des consommateurs pour l’éco-consommation redistribue les cartes.
Avec ces enjeux s’est développée la « guerre des talents » : comment motiver les employés à rester dans une entreprise dont l’impact sociétal et environnemental est négatif ? Comment continuer d’attirer les meilleurs durant cette période charnière ? Les employés sont de plus en plus exigeants sur ces questions, et les entreprises les moins responsables risquent de payer le prix fort. Difficile d’innover en recrutant parmi les candidats les moins investis et / ou qualifiés.
« La guerre des talents fait rage ! C’est l’une des préoccupations majeures des patrons dans le monde. Pour attirer les meilleurs talents demain, les entreprises ne vont pas avoir le choix : elles devront être authentiquement responsables. »
La coopération, clé d’une transformation réussie
Les entreprises savent désormais qu’elles doivent repenser leur manière d’agir. Pour sauter dans le train de l’innovation, elles doivent installer dans leur ADN des solutions d’économie circulaire ou de circuits courts. Des processus plus vertueux s’imposent, avec dans l’idéal un impact positif sur la société autant que sur la planète. Le tout sans oublier la résilience et l’autonomie sur le plan économique.
Il s’agit donc d’adopter l’innovation d’exploration le plus rapidement possible. Autrement dit, de chercher les business models de demain, peu rentables aujourd’hui mais adoptés et lucratifs à terme. Par exemple ? Le partage de biens, la consigne d’emballages alimentaires, le recyclage vestimentaire ou encore la seconde main… Pour adopter ces changements, trois étapes s’imposent :
- l’idéation pour trouver l’idée,
- l’expérimentation pour la tester,
- la mise à l’échelle, ou scale up.
Les startups sont souvent qualifiées pour les deux premières étapes, tandis que les grands groupes sont plus doués pour la dernière. Mais la question ne se pose plus : une entreprise ne peut plus évoluer seule. Elle doit créer des alliances, y compris avec ses concurrents, afin de développer des écosystèmes innovants. Le principe de compétition doit céder sa place à ce que l’on appelle la coopétition, mélange de coopération et de concurrence.
L’expérimentation s’est développée à tel point que l’on ne parle plus d’échec, mais de pivot, pour une entreprise qui décide de changer de business model. Aujourd’hui, l’enjeu principal n’est plus dans la recherche simple de rentabilité mais dans la mise à l’échelle d’une idée ou d’un concept vertueux. Il en va de la survie de l’entreprise, mais aussi de la pérennité de nos modèles sociétaux et économiques.
Comment devenir une « entreprise du futur » ?
Pour devenir une entreprise innovante et responsable, il est aujourd’hui nécessaire de se doter des caractéristiques suivantes.
- Ouverture sur son environnement – respect de la notion d’écosystème et limitation de son bilan carbone.
- Responsabilité sociétale – conditions de travail satisfaisantes, choix de fournisseurs éthiques, etc.
- Innovation pour inventer les business models de demain.
- Inspiration pour attirer des salariés et actionnaires innovants.