La crise favorise l’innovation et accélère les transformations économiques des entreprises
Christopher Hogg, professeur affilié d’HEC Paris, est le directeur du programme « Global Executive Master in Management », et l’auteur de l’ouvrage « Les transformations économiques » (éd. Ellipses, 2020). Dans un webinaire consacré à la crise comme vecteur d’innovation et d’accélération des transformations économiques, il montre comment les entreprises peuvent tirer parti des bouleversements engendrés par la crise.
La crise planétaire liée à l’avènement de la Covid-19 n’est pas conjoncturelle, mais systémique. Elle amène donc les entreprises à repenser leurs stratégies. Selon les secteurs et les marchés concernés, les transformations économiques se révèlent innovantes ou destructrices. Quand certaines entreprises connaissent une hyper croissance, d’autres sont confrontées à de violentes restructurations. Mais une chose est sûre : il n’y a pas de croissance molle dans ce contexte. D’où l’importance de comprendre les dynamiques qui transforment actuellement l’économie en profondeur pour être en mesure d’en saisir les opportunités.
Commençons par la transition énergétique et le développement durable. Si nous ne changeons pas nos modes de production, l’environnement de résistera pas. C’est pourquoi la majorité des entreprises travaille au développement d’un modèle durable pour les générations futures.
La seconde grande famille de transformations concerne l’urbanisation et les enjeux des smart cities. Plus de la moitié de la population mondiale vit en ville. En Chine, en Inde et en Afrique, de très grandes transformations sont à venir et cela pose la question de la résilience des villes face au réchauffement climatique et aux risques épidémiques dus aux nombreuses interactions urbaines.
La troisième catégorie de transformations porte sur la santé et ses enjeux éthiques, ce que la crise de la Covid-19 illustre bien. Le quatrième grand changement est relatif au retour du centre géopolitique de l’humanité vers l’Asie, et la Chine en particulier. Elle est désormais un acteur majeur en matière d’économie durable et d’innovation scientifique. Et elle pourrait bien accéder au rang de première puissance économique mondiale.
En cinquième lieu, les entreprises vont également devoir tenir compte du vieillissement de la population et des questions sociales qui y sont liées. Enfin, nous assistons à un boom du savoir, de la créativité et de l’innovation. Les entreprises innovantes du secteur du digital ont ainsi réalisés des chiffres d’affaires record avec la Covid. Pour tirer profit de ces six grandes transformations économiques, les entreprises doivent se laisser guider par les tendances. Quitte à changer leurs caps, leurs structures, leurs stratégies et leurs modalités techniques.
Aller dans le sens du vent plutôt que de lutter contre
La crise a accentué les vents favorables et défavorables. Mais où se trouvent les premiers ? Sans surprise, certains secteurs de l’économie sont portés par les transformations : le digital, les labels de l’éco-responsabilité, les acteurs de la transition énergétique et de l’innovation, les startups. Ces entreprises sont à la fois exaltantes en termes de réussite économique, et souvent porteuses de sens car elles dessinent le monde de demain. Alors forcément, c’est vers elles que les jeunes diplômés se tournent majoritairement.
Par ailleurs, la tendance est également très favorable pour les grandes métropoles. On estime que les 2/3 de la croissance à venir sont portés par les 100 plus grandes métropoles mondiales, qui sont généralement des grands hubs technologiques. Ces « villes-monde » attirent de plus en plus de jeunes talents, de financements et de perspectives. Elles opèrent comme des aspirateurs et vident les autres villes, ce qui contribue à accroître les inégalités.
Les bons vents soufflent, enfin, sur les nouveaux emplois de demain. On développe des hard skills hyper pointues pour aider l’intelligence artificielle à être de plus en plus performante dans l’analyse. Et des soft skills avec une approche profondément pluridisciplinaire. Car la créativité naît de cette rencontre entre hard skills et soft skills. L’innovation est devenue le mantra de toutes les entreprises. Or l’écosystème innovant, qui se situe sur le terrain de l’exploration, et non sur celui de l’exploitation, a un taux d’échec d’environ 75%. Cela suppose, là encore, une bonne résilience.
La question du sens est aussi très importante pour les équipes, et un véritable challenge pour les entreprises. Aux XVIIIe et XIXe siècles, le métier avait un sens. On retrouve aujourd’hui cela chez les professions comme médecin ou professeur. Mais le taux d’engagement fort des équipes dans les entreprises françaises étant inférieur à 10%, il est plus que jamais nécessaire d’aligner le sens individuel au sens collectif dans le travail. C’est un aspect indispensable pour attirer les jeunes talents.
Savoir saisir les opportunités créées par la crise
Des secteurs qui étaient jusqu’ici portés par les transformations économiques ont été mis à l’arrêt par la crise sanitaire. Comme celui des interactions sociales, qui comprend, entre autres, la restauration, l’hôtellerie et le tourisme. Le nombre de voyages dans le monde a connu une progression spectaculaire ces dernières décennies, passant de 25 millions en 1950 à 1,4 milliards en 2018. Mais la Covid a stoppé cette dynamique. Et cela a eu des conséquences sur l’aéronautique, le tourisme et les interactions sociales en général. Les experts estiment qu’il n’y aura pas de retour à la normale avant au moins 3 ou 4 ans.
Or l’interaction sociale est au cœur de l’économie. C’est le secteur qui crée le plus d’emplois en France, aux Etats-Unis ou encore en Chine. D’ailleurs, le marché se définit précisément par l’échange entre des personnes. La distanciation physique nuit évidemment à l’interaction sociale, mais elle a favorisé l’interaction sociale digitale. Les banques centrales n’ont jamais injecté autant de liquidités sur les marchés. Et la plupart des acteurs financiers vont justement réinjecter ces fonds dans des secteurs d’avenir tel que le digital. Les valeurs du digital se portent déjà très bien ! À titre d’exemple, en mai 2020, l’entreprise Zoom a égalé la capitalisation boursière des 7 plus grandes compagnies aériennes mondiales (en nombre de passagers).
Cela montre bien que la crise a eu à la fois des effets porteurs et destructeurs. Dans ce contexte, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ont connu une croissance record. Pour elles, la crise a joué un rôle d’accélérateur extrêmement fort. Les transformations économiques s’accélèrent avec la crise et mieux vaut les accompagner qu’essayer d’y résister, en vain.
Le réchauffement climatique et le développement durable sont des enjeux majeurs de l’économie. L’inclusion sociale et le nouveau mix présentiel / distanciel sont devenus des sujets centraux de l’économie des services. La crise est indiscutablement un accélérateur et un vecteur d’innovation au service des transformations économiques. Mais encore faut-il qu’elle soit créatrice de valeurs collectives, sociales, environnementales, entrepreneuriales, dans les relations avec les clients et les fournisseurs, et pour nous-mêmes. Tout un programme