La gestion du changement à l’ère de l’intelligence artificielle
Mathis Schulte, Professeur associé en Management et Ressources Humaines à HEC Paris, mais aussi expert en comportement organisationnel et en résolution de conflit, est convaincu que l’intelligence artificielle (IA) aura un impact majeur sur la gestion du changement. Dans cet entretien, il expose comment, selon lui, l’IA transformera la façon dont nous appréhendons et implémentons le changement.
Construire de meilleurs modèles de prédiction
Très souvent, les organisations implémentent le changement une fois qu’il est trop tard. L’intelligence artificielle pourrait-elle transformer cette approche dite de « plateforme en feu » en une meilleure gestion du changement ? Qu’en serait-il si les organisations pouvaient capitaliser sur l’IA pour collecter des données et construire de meilleurs modèles de prédiction, avant même que la crise n’éclate ? Le Professeur Schulte affirme que bien que l’impact de l’IA sur la gestion du changement soit, pour le moment, surtout hypothétique, il pourrait aider les entreprises à prendre les décisions plus tôt, et ainsi procéder au changement avant qu’il ne soit trop tard.
Faire face à l’inconnu
« L’IA ressemble un peu à la blockchain. C’est l’une de ces technologies à la mode qui fascinent tout le monde sans que personne ne sache réellement de quoi il s’agit » déclare le Professeur Schulte. Il souligne que l’incertitude galopante quant à l’objectif, au potentiel et aux applications de l’IA pose de véritables défis pour les organisations qui veulent l’intégrer de façon efficace. YouTube, par exemple, a utilisé l’IA pour « déterminer la vraie nature de l’homme » et en est arrivé à proposer des « têtes de chat » sur la base de toutes les vidéos de chats téléchargées sur la plateforme. Les données et le contenu que vous fournissez à l’IA (comme les vidéos YouTube) influencera le résultat.
Changement évolutif contre changement radical
Que l’IA facilite le changement ou non, le type de changement est un facteur important. Mathis Schulte pense que l’IA facilitera une adaptation progressive plutôt qu’un changement immédiat et radical. « Les gens peuvent s’adapter et prendre en compte l’IA tôt dans le processus, et ainsi changer progressivement et non radicalement. » Les systèmes intelligents les plus sophistiqués ne seront cependant pas en mesure de prédire chaque facteur susceptible d’affecter une organisation. Contre les catastrophes naturelles ou nationales, par exemple, l’IA ne pourra pas faire de miracle.
Faciliter la communication au sein de l’entreprise
L’IA ne remplacera pas toute forme de collaboration humaine. En fait, elle pourrait jouer un rôle significatif pour permettre aux gens de travailler ensemble plus efficacement. « En nous fournissant des informations et retours sur la façon dont nous interagissons, les systèmes intelligents pourraient nous aider à améliorer notre communication, » déclare le Professeur Schulte. Dans sa recherche, il a établi que les personnes créatives sont souvent marginalisées, principalement parce qu’elles sont perçues comme inefficaces. Il prédit que l’IA sera capable d’analyser les dynamiques d’équipe et de réseau, ce qui mènera à une plus grande considération du rôle et de l’importance des groupes créatifs, en s’assurant que chaque voix est entendue.
Faisons-nous déjà confiance à l’IA ?
« Il y a un besoin profond d’humaniser ou de rassurer sur l’intelligence artificielle, » explique Mathis Schulte. « La supposition sous-jacente est que plus une chose nous attendrit et nous ressemble, plus on peut s’y identifier émotionnellement. » En vérité, dit-il, dans un contexte professionnel, faire confiance à l’IA peut dépendre de la relation des employés avec leur employeur.
Le Professeur Schulte cite le psychologue Kurt Gray, qui explique que « pour faire confiance à quelqu’un, nous avons besoin de savoir si cette personne assumera les risques éventuels. » Si vous travaillez avec un système intelligent et que vous échouez, c’est vous qui en subirez les effets, pas le système. Si vous faites une erreur avec un autre être humain, vous en partagerez les conséquences. Finalement, c’est la façon dont nous faisons ou non confiance à l’IA qui déterminera son impact sur la gestion du changement.