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defi data

 

Au lendemain des Assises de la Data Transformation, organisées conjointement par Netexplo et deux Centres d’HEC : Hi! Paris et Innover & Entreprendre, nous nous sommes entretenus avec Julien Lévy, Professeur associé et Directeur scientifique de ce dernier Centre.
Expert de la data et de l’innovation, Professeur Lévy partage sa vision sur le vaste sujet de la Data Transformation, nouvelle étape de la révolution numérique.

Pouvez-vous nous partager votre définition de la Data Transformation et préciser quelles sont les entreprises principalement concernées par cette transformation ?

Comme Digital Transformation, « Data Transformation » est une expression en vogue dans les entreprises, mais son sens reste flou. Je dirais qu’elle consiste fondamentalement à innover dans la façon de mener ses affaires, en utilisant le levier des données, pour accroître la productivité, développer son activité et créer de la valeur pour ses clients. En d’autres termes, la data transformation est une politique d’innovation organisationnelle, les données et leur traitement étant l’outil de cette politique.

D’ailleurs, l’expression « tout transformer en données pour tout transformer par les données. » définit selon moi le mieux la révolution numérique et sa mise en œuvre. Et cela transparaît aujourd’hui dans nos pratiques puisque nous numérisons tout, partout et à tout moment. Des innovations telles que les objets connectés, la reconnaissance du son et des images par l’intelligence artificielle, et la puissance des réseaux et du cloud ont littéralement fait exploser la masse d’information produite et disponible.

Quant aux entreprises, elles sont à mon sens concernées au premier chef par la data transformation car elles disposent ou peuvent disposer de masses d’informations sur leur activité et leur marché. Il n’y a donc plus lieu de distinguer les entreprises digitales et les entreprises non digitales : la réorganisation de l’activité autour des données concerne toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité. Si distinction il fallait faire, cela serait entre les entreprises « digital native » d’un côté, et les entreprises « digital apprenantes » de l’autre. Les premières parlent naturellement data, alors que pour les autres, il s’agit d’un apprentissage.

De quoi une entreprise a-t-elle besoin pour se lancer dans la data transformation ?

Nous avons réalisé avec mon confrère Jean-Rémi Gratadour, Directeur Exécutif du développement des programmes du Centre Innover & Entreprendre d’HEC Paris, trois études en l’espace de quatre ans sur les politiques data des entreprises. Nous sommes fascinés par l’accélération du mouvement : ce qui était un objet de discussion il y a quatre ans est parfois devenu une priorité stratégique depuis. Je dirais donc qu’il existe trois étapes dans cette transformation.

La première est le traitement de la data en silos. Tout système d’information suppose la création de données, et ces données sont chaque fois collectées et traitées pour un usage spécifique comme les ressources humaines, la logistique, le contrôle de gestion…

La deuxième étape, c’est la volonté stratégique d’être une « data enabled company », à savoir soutenue par la data. Ici, on cherche à améliorer la productivité de l’entreprise ou des services internes par une nouvelle exploitation des données.

La troisième étape est la volonté d’être une « data driven company » ou entreprise pilotée par la data, c’est-à-dire que l’on considère que la data pénètre toutes les activités de l’entreprise. La création de valeur ajoutée passe alors de plus en plus par le traitement de la data, qui devient alors un levier d’agilité organisationnelle. Mais attention, cette étape n’est pas un passage obligé pour toutes les entreprises. Il s’agit davantage d’un choix stratégique que d’une nécessité. D’ailleurs, affirmer être « data driven » lorsque l’on n’est pas une entreprise nativement data est une gageure, c’est un pari qui suppose de nombreuses implications. Par contre, être « data enabled » me semble aujourd’hui indispensable.

Dans les deux cas, qu’elles soient « soutenues » ou « pilotées » par les données, les entreprises ne sortiront pas des datas en silos sans volonté stratégique affirmée de la direction.

Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les entreprises en termes de data transformation ?

Outre la vision et la volonté stratégique de l’entreprise, la data transformation fait face à trois grands enjeux : la gouvernance technologique, la gouvernance des données et la gouvernance des projets.

La gouvernance technologique est la fondation : pas de data transformation sans un système d’information qui permet l’agilité. Cela prend la forme d’un data lake (ou data hub) et d’API, d’outils de traitement et de visualisation avec des interfaces standard avec la base, le tout passant par le cloud. Dans certains cas, la technologie accompagne l’entreprise, la démarche est graduelle, dans d’autres cas, des choix stratégiques très structurants sont faits et imposés en matière de technologie, ce qui est toujours le cas pour les entreprises « data driven ».

La gouvernance des données est clef : dès qu’une entreprise se dote d’outils puissants, elle constate davantage son impuissance, faute de données étendues et fiables. Ici, le sujet porte donc sur la qualité des données –très complexe à garantir– et le respect de la réglementation.

Enfin, la gouvernance des projets soulève un nouveau défi. Pour être au plus près du business et pour s’inscrire dans une démarche d’innovation, on favorise le foisonnement des projets et des expérimentations (PoC : Proof of Concept). Mais parallèlement, les entreprises souhaitent favoriser des projets industrialisables, ayant un impact transversal sur l’entreprise. Concilier ces deux exigences est une gageure.

 

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Les 5 dimensions de la data transformation : Stratégie, Gouvernance technologique, des données et des projets, et dimension humaine, par Julien Lévy et Jean-Rémi Gratadour.

Qu’est-ce que la data transformation peut apporter à une entreprise ?

D’abord, qu’est-ce qu’une entreprise a à perdre à ne pas l’embrasser ? L’impact des données et de leur traitement est tel dans l’ensemble des activités internes ou externes de l’entreprise, que ne pas s’engager dans ce mouvement serait synonyme de perte en productivité, en performance et en agilité. Aujourd’hui, les entreprises qui ont l’ambition d’être « data driven » recherchent les gains de productivité, mais également davantage d’agilité, de capacité à s’adapter beaucoup plus vite aux évolutions incessantes du marché. Elles orientent encore peu leurs efforts vers l’innovation de produits, la création de nouvelles offres, mais cela viendra par la suite.

Cependant, la « data transformation » n’est pas une panacée : il s’agit d’une vision, d’une politique, d’une masse d’initiatives qui soulèvent de nouveaux enjeux et de nouveaux problèmes. Ce n’est donc pas en soi une « solution », c’est à la fois un nouveau défi et un ensemble d’opportunités.

La data transformation est-elle réservée uniquement aux spécialistes de la data ?

C’est justement l’inverse : la data transformation est essentiellement une affaire de non spécialistes. « Innover dans la façon de faire le business » n’est pas une ambition exclusivement réservée aux data scientists, aussi bons soient-ils. Les projets data doivent être conduits par les métiers, « business driven ».

Toute la complexité d’une politique de data transformation est justement d’assurer la coopération entre experts data, experts des systèmes d’information et métiers. Ainsi, les experts data sont à même de dire ce qu’il est possible ou non de faire avec un jeu de données, ou inversement définir le type de données nécessaire pour obtenir certains résultats. Quant aux managers, ils sont les seuls à pouvoir fixer les objectifs et gains attendus, et indiquer aux experts data si le résultat du traitement des données a du sens ou non pour leur activité. C’est la raison pour laquelle la majorité des projets data adopte une méthodologie agile : cela permet d’instaurer ce dialogue et d’opérer des ajustements à chaque étape.

Quels rôles peuvent jouer les collaborateurs dans la data transformation ? Et comment les embarquer ?

Le frein à la data transformation dans les entreprises est aussi son opportunité, à savoir devoir être pilotées par les métiers et les opérations, c’est-à-dire par le business. C’est du reste une des grandes différences entre « digital transformation » et « data transformation ». La première pouvait se focaliser dans certains départements ou être prise en charge par des services spécifiques, alors que la data transformation touche toutes les activités. Or, les professionnels du business ne sont pas des experts de la data. D’où la nécessité d’instaurer ce dialogue entre les experts data et les managers, mais également d’insuffler une « culture de la data » de la façon la plus vaste auprès des métiers de l’entreprise. Au-delà de la sensibilisation, il faut former les managers aux projets data. Bien entendu, tout cela doit s’appuyer sur un discours très clair de la direction d’être une « data enabled » ou « data driven » company, afin de fixer les enjeux.

Je suis aussi convaincu que la culture d’entreprise et les savoir-faire en matière de data se développeront par la propagation des cas d’usage. Plus il y aura de projets data dans l’entreprise, plus les managers seront amenés à participer à ces projets et à en comprendre l’intérêt, et plus cette culture s’étendra comme une tache d’huile. Nous avons donc un triple enjeu de sensibilisation, de formation et d’émulation.

Pouvez-vous nous parler de la genèse du programme Data for Managers d’HEC Paris ?

Data for Managers a été co-développé avec quelques entreprises partenaires avec lesquelles nous travaillions sur les enjeux de la donnée. Ils ont partagé avec nous leur constat : « Ce qui nous freine dans la data transformation, ce n’est pas la situation tendue des compétences en data science, mais que face aux opportunités de la data, les managers sont comme une poule devant un couteau. »

L’idée était donc de concevoir une formation permettant aux managers de comprendre les enjeux de la data science et de la data transformation, et au-delà, de comprendre la façon dont un projet data est mené, leur rôle et celui de leurs équipes dans ce projet.

Néanmoins et à notre grande surprise, environ 20% des participants sont des experts tech et data, que nous n’avions pas ciblés. Ils nous disent : « je me suis inscrit pour connaître les enjeux de la data côté business et comment mieux travailler avec les équipes métier ». Cela fonctionne et c’est en fait parfaitement cohérent avec l’ambition du programme.
 

 

Julien levy

Julien Levy

 

Pourquoi avoir choisi de le lancer en partenariat avec Netexplo ?

Netexplo est un Observatoire de l’innovation numérique, partenaire d’HEC Paris depuis sa création, il y a environ dix ans. Nos études sur les politiques data des entreprises ont été réalisées à travers leur club d’entreprise auquel HEC est associé. C’est Netexplo qui m’a incité à réfléchir à un programme de formation qui permettrait de répondre aux besoins des entreprises.

Ils ont proposé à la direction d’HEC Paris et à l’Executive Education un triple co-développement : HEC pour le contenu et le savoir-faire pédagogique, quelques entreprises auprès desquelles le programme serait testé, et Netexplo qui a l’agilité pour monter et co-commercialiser le programme en un très court laps de temps. A titre d’exemple, lorsque la France a été confinée, nous avons basculé le programme au format digital, à savoir l’adapter, l’enregistrer, le produire et le diffuser en ligne, en moins de quatre semaines !

Pouvez-vous nous parler davantage du programme et des premiers retours des participants ?

Fondamentalement, le programme s’est fixé pour objectif de former à quatre compétences clefs :

  • Comprendre les nouveaux concepts, usages et cadre légal ainsi que les enjeux de la data pour leur entreprise et dans leur métier ;
  • Mieux cerner le rôle qu’ils ont à jouer dans une entreprise orientée données et dans la chaine des acteurs de la data ;
  • Prendre connaissance de bonnes pratiques pour identifier, collecter, valoriser, conserver et utiliser la donnée ;
  • Initier ou participer à des projets concrets dans leur entreprise.

Le programme en ligne a été suivi en un an par plus de 1 000 participants, avec un taux de satisfaction historiquement élevé (4,5 sur 5). Les entreprises nous envoient par conséquent de nouveaux effectifs. Mais au-delà de la satisfaction, le retour le plus gratifiant est le taux très élevé de réponses positives quant à l’intérêt de la formation dans leur travail et leur activité.

Enfin, quelle serait votre dernier conseil aux entreprises qui débutent dans la data transformation ?

Aujourd’hui, les entreprises qui ne sont pas nativement data et qui affirment fortement leur volonté de devenir « data driven » sont très modestes dans leurs prétentions et soulignent toutes qu’elles sont au début du chemin. Le défi pour elles est de passer du foisonnement des POC locaux à des projets data industriels et structurants, sans étouffer les initiatives locales. Je ne crois guère au « one best way » : chaque entreprise gérera cette dialectique sur la base de sa culture propre.

Mais comme l’a dit Bob Noyce, l’inventeur des circuits intégrés et un des fondateurs d’Intel : « l’optimisme est un ingrédient essentiel à l’innovation. Sans lui, comment pourrait-on accueillir favorablement le changement et privilégier l’aventure à une vie tranquille ? »

 

    Un Nouveau Centre pour explorer les enjeux de la data à HEC

    HEC Paris et l’Institut Polytechnique de Paris (IP Paris) ont créé Hi! Paris.
    L’ambition affichée de Hi! Paris, un centre interdisciplinaire et interinstitutionnel qui allie éducation, recherche et innovation, est de devenir un              leader mondial du domaine d’ici 5 ans, en relevant les principaux défis liés à la transformation digitale et à son impact sur les entreprises et la              société. Le Centre s’appuie sur les 300 chercheurs et sur les infrastructures d’IP Paris et HEC Paris dans ces domaines.