Réussir sa transition face aux défis bas-carbone
Si les efforts mondiaux pour réduire les émissions de carbone ne sont pas intensifiés, la planète pourrait voir une augmentation des températures de 3°C d'ici la fin du siècle, et jusqu'à 4°C en France, prévient le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Les conséquences socioéconomiques seraient alors considérables. Les incendies de forêt, les vagues de chaleur et les inondations dévastatrices deviendraient encore plus fréquents et intenses, bouleversant nos modes de vie et nos économies. Dans ce contexte alarmant, la transition vers une économie bas-carbone n’est plus une option mais une nécessité urgente. Cependant, au-delà des discours et des intentions, se pose la question cruciale : comment réussir cette transition de manière concrète et efficace ?
Une Europe ambitieuse en termes de transition écologique
Dans ce contexte, les entreprises jouent un rôle clé. Mais comment peuvent-elles s’adapter à ce nouvel impératif écologique sans sacrifier leur compétitivité ? Quelle est la part des réglementations européennes dans cette équation complexe ? Réponses à l’aide d’Hélène Musikas, professeure associée à HEC Paris, spécialiste en stratégie et politique d'entreprise, et Jean-Michel Gauthier, professeur affilié à HEC Paris et directeur exécutif de la Chaire Énergie et Finance.
L’urgence est à la transition bas-carbone
L'Europe s’est fixé des objectifs ambitieux pour devenir le premier continent climatiquement neutre d'ici 2050. Les réglementations européennes sont en place pour guider et obliger les entreprises à intégrer les critères de durabilité dans leurs stratégies. Pourtant, malgré ces efforts, un fossé demeure entre les objectifs proclamés et les actions concrètes menées par les entreprises.
La taxonomie européenne
La taxonomie européenne est un système de classification destiné à établir quels investissements sont véritablement durables. Hélène Musikas explique : « La taxonomie européenne est essentielle pour orienter les flux de capitaux vers des projets durables et pour aider les entreprises à aligner leurs activités avec les objectifs climatiques de l'Union Européenne».
En pratique, les entreprises doivent évaluer et déclarer la proportion de leurs activités qui répondent aux critères environnementaux définis par la réglementation.
Cette démarche vise à encourager les investissements dans des activités économiques respectueuses de l'environnement, en fournissant des repères clairs aux investisseurs.
La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)
La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) remplace et étend les exigences de la Non-Financial Reporting Directive (NFRD). Jean-Michel Gauthier souligne : « La CSRD oblige les entreprises à divulguer des informations détaillées sur leur impact environnemental, social et de gouvernance (ESG), offrant ainsi une transparence accrue aux investisseurs et aux autres parties prenantes. »
La CSRD s'applique à environ 50 000 entreprises dans l'UE, contre 11 000 sous l'ancienne NFRD, et impose des rapports plus complets et standardisés. Les entreprises doivent notamment inclure des informations sur leur stratégie de durabilité, les risques et opportunités climatiques, ainsi que leur gouvernance en matière de durabilité, vérifiées par un auditeur tiers pour en assurer la fiabilité.
Le concept de la double matérialité
L'un des concepts clés introduits par la CSRD est celui de la double matérialité. Hélène Musikas explique : « La double matérialité élargit la perspective des entreprises, les obligeant à considérer non seulement comment les problématiques environnementales, sociales et de gouvernance affectent leurs performances financière, mais aussi leur propre impact sur l'environnement et la sociéte. »
Cela signifie que les entreprises doivent évaluer et rapporter non seulement comment les facteurs environnementaux et sociaux influencent leur performance financière (matérialité financière), mais aussi comment leurs activités impactent l'environnement et la société (matérialité d'impact).
Les entreprises européennes à la traîne
En dépit des directives et des incitations, il semblerait que la transition bas-carbone ne soit pas encore une réalité pour tous en Europe. De nombreuses entreprises européennes peinent à aligner leurs pratiques avec les exigences de la transition écologique. Les défis sont multiples : complexité réglementaire, coûts de transformation, et résistance au changement. Ces obstacles freinent la mise en œuvre de stratégies durables, alors même que les opportunités économiques de la transition bas-carbone sont de plus en plus reconnues.
D'après une étude récente de Chapter Zero, moins de la moitié des entreprises sont réellement avancées sur les sujets climatiques.
« C'est un peu la douche froide pour ceux qui pensaient que le virage vert était déjà bien négocié » commente Hélène Musikas. Elle ajoute, « nous voyons des initiatives, certes, mais l'engagement profond et structuré manque encore chez beaucoup. »
L'analyse des niveaux de préparation montre une grande disparité. Certaines entreprises semblent avoir pris le taureau par les cornes, intégrant de manière proactive des stratégies de réduction des émissions et de durabilité dans leurs opérations quotidiennes. D'autres, cependant, en sont encore à la phase de planification, ou pire, à la prise de conscience.
Jean-Michel Gauthier souligne : « Il y a un écart manifeste entre le discours et l'action. Beaucoup en parlent, mais peu mettent en œuvre des actions concrètes qui changent la donne. »
Pourquoi décarbonner ? 7 raisons essentielles
1. Une obligation légale pour les sociétés cotées
Les sociétés cotées doivent se conformer aux législations de leur pays d'origine, même pour leurs opérations internationales. « Une entreprise allemande, même si elle est implantée au Myanmar ou en Irak, doit décarboner parce qu'elle est une société allemande et que l'Allemagne a transposé dans ses lois l'obligation du zéro carbone en 2050 », explique Jean-Michel Gauthier.
2. La réglementation boursière
La réglementation boursière impose aux entreprises de publier des rapports détaillant leurs progrès en matière de décarbonation. « La bourse ne vous dit pas de décarboner, mais elle vous demande de publier où en est votre décarbonation », souligne Jean-Michel Gauthier. Cette transparence est cruciale pour accéder au marché des capitaux et maintenir la confiance des investisseurs.
3. Conformité aux fédérations de métiers
Les entreprises doivent suivre les bonnes pratiques de décarbonation établies par leurs fédérations industrielles. « Si vous êtes membre d'une fédération industrielle, vous devez vous conformer aux objectifs de décarbonation pour ne pas vous mettre en marge de votre propre association », ajoute Jean-Michel Gauthier.
4. Pression des clients et parties prenantes
Les clients exigent des pratiques durables de leurs fournisseurs. Si une entreprise produit des composants pour des grands industriels comme BMW ou Volkswagen, elle doit décarboner pour ne pas nuire au rating ESG de ses clients.« Si vous dégradez le critère RSE ou ESG de votre acheteur, il va vous dépositionner et acheter chez quelqu'un d'autre », prévient Jean-Michel Gauthier.
5. Exigences des bailleurs de fonds
Les banques et les institutions financières doivent également publier la part de leurs investissements verts. Elles pénalisent les entreprises qui ne se conforment pas aux critères de décarbonation, impactant ainsi leur accès au financement. Le Green Asset Ratio (GAR) est un indicateur clé que les banques doivent suivre, affectant directement leur activité bancaire.
6. Tarification carbone
Les entreprises entrant dans le système d'échange de quotas d'émissions de l'Union européenne (EU-ETS) doivent acheter des quotas d'émission pour compenser leur carbone. Avec un marché du carbone à 90 euros la tonne, la pression de décarboner est significative. « La tarification carbone impose de rendre des quotas d'émission à l'administration fiscale à due concurrence des tonnes physiques de CO2 émises », explique Jean-Michel Gauthier.
7. Initiatives volontaires et responsabilité sociale
Enfin, les entreprises vertueuses s'imposent souvent des prix internes du carbone pour tester leurs investissements et leurs stratégies. Cette approche proactive permet de se préparer aux futurs défis réglementaires et de montrer un engagement envers la durabilité.
Stratégies pour une transition bas-carbone réussie
Pour réussir la transition bas-carbone, il est essentiel d’adopter des stratégies innovantes et des business models durables.
Anticiper et planifier à long-terme
« Une stratégie à court terme peut offrir des gains immédiats, mais seule une vision à long terme peut garantir la pérennité et la résilience de l'entreprise face aux défis climatiques. » - souligne Hélène Musikas.
Les entreprises doivent anticiper les changements futurs et intégrer les enjeux environnementaux dès aujourd'hui pour assurer leur succès durable. Pour aider les entreprises à naviguer dans cet environnement certain, des scénarios macroéconomiques peuvent être utilisés. Une étude récente menée par Arthur D. Little propose des scénarios à l'horizon 2040, chacun décrivant une vision possible de l'avenir économique et sociétal.
Communautés vertes :
Les consommateurs changent significativement leurs comportements, mais les financements pour la transition sont limités, menant à une grande décentralisation et une économie circulaire locale.
Seuls au sommet :
Quelques entreprises leaders développent des avantages concurrentiels en adoptant des technologies vertes, tandis que les autres peinent à suivre.
Far West Vert :
Abondance de financements mais peu de réglementations, créant un chaos créatif avec des initiatives multiples mais peu coordonnées.
Déni cosmique :
Aucune adaptation significative des consommateurs ou des institutions financières, entraînant une gestion de crise permanente.
Alignement des planètes :
Une mobilisation générale des entreprises, des régulateurs et des consommateurs pour une transition harmonieuse et coordonnée vers une économie bas carbone.
Jean-Michel Gauthier ajoute : « Ces scénarios permettent aux entreprises de comprendre les différentes trajectoires possibles et de se préparer à divers futurs en adaptant leur stratégie en conséquence. »
Les entreprises doivent également prendre en compte les contraintes et incertitudes qui marqueront les 15 à 30 prochaines années. Les changements climatiques, les évolutions réglementaires, les fluctuations économiques et les attentes sociétales sont autant de facteurs qui peuvent influencer la stratégie d'une entreprise. Hélène Musikas explique :
« L'incertitude est inhérente à la planification stratégique, surtout dans un contexte de transition bas carbone. Les entreprises doivent être flexibles et prêtes à ajuster leurs plans en fonction des nouvelles données et tendances. »
Jean-Michel Gauthier souligne également l'importance de l'anticipation : "Il est crucial pour les entreprises de ne pas se contenter de réagir aux changements, mais de les anticioer et de les intégrer proactivement dans leur stratégie. Cela nécessite une compréhension approfondie des dynamiques macroéconomiques et des impacts potentiels sur leur secteur d'activité".
Intégrer la durabilité dans sa chaîne de valeur
« La réduction des émissions de gaz à effet de serre doit être une priorité », affirme Hélène Musikas. « Il ne s'agit pas seulement de réduire les émissions directes et indirectes, mais aussi celles de la chaîne de valeur souvent les plus significatives » Jean-Michel Gauthier insistei sur la nécessité de repenser la chaîne de valeur, de la production jusqu’à la distribution des produits pour y inclure la durabilité.
« Les entreprises doivent s'assurer que chaque maillon de leur chaîne de valeur adhère aux principes de durabilité ».
Cela implique une collaboration étroite avec les fournisseurs et les clients pour minimiser l'empreinte carbone globale.
En outre, l'adoption de modèles économiques circulaires se révèle être une stratégie gagnante. « Minimiser les déchets et maximiser l'utilisation de ressources recyclées ou renouvelables est non seulement bénéfique pour l'environnement, mais également pour la rentabilité à long terme », souligne Hélène Musikas.
En adoptant ces pratiques, les entreprises non seulement contribuent à la lutte contre le changement climatique, mais elles se positionnent également comme leaders responsables, prêts à affronter les défis futurs avec des solutions innovantes et durables.
Former et sensibiliser les dirigeants : un élément clé de la transition bas-carbone
La complexité des enjeux climatiques et la rapidité des évolutions réglementaires nécessitent une compréhension approfondie et une capacité à adapter les stratégies d’entreprise en conséquence.
HEC Paris propose un programme exécutif intitulé « Réussir la transition bas-carbone ». Ce programme court, d'une durée de deux jours, est conçu pour les dirigeants et les membres des comités de direction qui doivent élaborer ou contribuer activement à la stratégie « Net Zero » de leur organisation. Dirigé par Hélène Musikas et Jean-Michel Gauthier, ce programme offre une approche pratique et concrète pour intégrer les enjeux climatiques au cœur de la stratégie d'entreprise.
La force du programme réside dans son approche pratique et interactive. Les participants travaillent sur des projets concrets liés à leurs propres organisations, facilitant ainsi l'application immédiate des concepts appris. La pédagogie alterne théorie, cas d'application, exercices pratiques, témoignages et ateliers de co-développement.
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Prochaine session du programme : 16 octobre 2024
Lieu : Paris - Campus de Jouy-en-Josas