Un leadership éclairé pour améliorer et développer les entreprises
Bien plus qu'une simple exhortation à des comportements plus réfléchis, le leadership éclairé est un moyen pour les entreprises de survivre dans les prochaines décennies et de contribuer positivement à la société, selon le professeur Rodolphe Durand d’HEC Paris.
Avant de pouvoir adopter une approche du leadership plus éclairé, une entreprise doit d'abord comprendre sa raison d’être, déclare le professeur Durand. Et ce n'est pas toujours une mince affaire...
D’après Rebecca Henderson de la Harvard Business School, la « raison d’être » de l’entreprise correspond à la formulation de ce qui justifie sa création et son existence, au-delà de la rentabilité. Cette notion est très intéressante car l’entreprise est habituellement perçue comme une organisation uniquement orientée vers la recherche du profit. Ceci étant, pour certaines entreprises, il est plus facile de trouver un sens à sa raison d’être que pour d'autres. Ainsi, par rapport à une entreprise pharmaceutique dont la raison d’être est de sauver des vies, il est moins évident pour une entreprise de tabac d’être crédible en revendiquant « un avenir sans tabac » tout en continuant à vendre massivement des cigarettes.
C’est seulement après avoir compris les lignes directrices de sa raison d’être qu’une entreprise peut commencer à déterminer ce que le leadership éclairé peut évoquer pour elle.
« Le leadership éclairé consiste à incarner cette raison d’être, notamment à travers la perception qu’en ont les employés ». Si nous reprenons l’exemple d’un grand laboratoire pharmaceutique, la communication officielle pourra toujours déclarer que sa raison d’être est de sauver des vies, tandis que sa direction demeurera obnubilée par les profits. Les différentes strates hiérarchiques peuvent ne pas incarner la raison d’être et les employés peuvent ne pas vraiment s'en soucier. Le leadership éclairé doit être orienté vers les managers et chaque collaborateur.
« Lorsqu’une entreprise va bien et que les collaborateurs s’y plaisent, ces derniers s’impliquent alors davantage et, par conséquent, l'organisation fonctionne plus efficacement. A certaines conditions, l’entreprise est alors plus rentable, car tout le monde est bien aligné, à la fois personnellement et en lien avec ce qu’accomplit l’entreprise. »
Le professeur Durand souligne que les étudiants à HEC Paris sont encouragés à étudier le concept sous plusieurs angles.
« Nous commençons par la raison d’être, et partons du principe qu’il s’agit simplement d’une déclaration qui peut être incarnée ou non. Elle peut être exacte, comme elle peut être erronée ou trompeuse. Elle peut être visée sans être pour autant matérialisée. À HEC Paris, en collaboration avec une équipe de chercheurs, nous essayons d'étudier tous ces éléments scientifiquement, et d’éviter la « liste à la Prévert » de toutes les qualités qui sont souvent associées sans fondement au leadership éclairé.
Il existe des raisons impérieuses, explique le professeur Durand, de penser l’entreprise et le management différemment.
« Au cours de la dernière décennie, nous avons traversé une crise majeure - une crise qui a transféré la dette privée aux gouvernements et à nous tous en fin de compte. Autrement dit, la dette privée est devenue une dette publique - et, par conséquent, l’idée même d’« entreprise » et de « profits privés » suscite beaucoup de suspicion et de colère dans de nombreux pays. Les banques, les entreprises, le capitalisme ont été vivement critiqués. Nous nous sommes collectivement rendus compte que l’économie de marché ne permettait pas à tout le monde d’en partager les fruits et de mieux s’en sortir. La crise de la Covid a accentué cette perception des inégalités. »
Pour ces raisons, la nature même de « l'entreprise » est en cours de redéfinition.
Une entreprise n'existe plus seulement pour faire des bénéfices, elle doit maintenant avoir et expliciter sa raison d’être. Chacun doit pouvoir comprendre pourquoi les entreprises exercent leur activité, et pour qui. Dit autrement, le profit n'est pas l’essence de l'entreprise, mais le résultat indirect de son utilité. Une entreprise doit avoir une raison d’être qui légitime ses bénéfices ».
Pour le professeur Durand, les entreprises gagneraient à avoir une équipe de dirigeants dont toutes les actions sont guidées par le sens
« Environ 80 % des employés déclarent ne pas se sentir impliqués, ni engagés dans leur travail. C'est intéressant sur le plan managérial, car cela signifie que si un dirigeant parvenait à impliquer un peu plus ses employés, il obtiendrait de meilleurs résultats.
« Alors, comment faire pour y parvenir ? C'est ici qu'intervient l'idée de leadership éclairé : il faut être plus attentif aux besoins des collaborateurs, respecter leurs attentes et écouter leurs suggestions. Il y a bien sûr des défis à relever : une entreprise peut connaître des difficultés à se transformer parce que la direction et les employés conservent de vieilles habitudes. Ou encore, vous pouvez essayer de faire les bons choix et vous aliéner une partie de l’organisation qui ne voit pas la nécessité du changement. De plus, du point de vue de la direction, si l'entreprise dégage des bénéfices, il peut être difficile de percevoir le besoin d’un changement et faire évoluer les mentalités des managers sur l'importance de ce point ».
À HEC Paris, une série de cours aborde le thème du leadership éclairé. Les étudiants ont l’opportunité de travailler avec plus de 85 entreprises partenaires pour explorer ce concept sur le terrain. Tout repose sur la philosophie « Think, Teach, Act » de l'Institut Society and Organizations d'HEC Paris, explique le professeur Durand.
Depuis 12 ans, nous menons des recherches qui sont publiées dans les meilleures revues universitaires, nous formons de nombreux doctorants, nous entretenons des liens avec diverses institutions comme l'OCDE – ça, c'est donc le volet « Think ».
Le volet « Teach » porte sur la manière dont nous introduisons ces nouveaux concepts essentiels au cœur des programmes d'une école de commerce traditionnelle. Par exemple, les thématiques de développement durable ou de répartition de la richesse - et c'est donc notre mission, par le biais de l'enseignement, de sensibiliser nos étudiants et les participants en Formation Continue aux défis actuels auxquels ils font face ».
Et le volet « Act » ? Il s'agit d'aider les étudiants à développer des projets qui leur tiennent à cœur, conclut le professeur.
« Que ce soit de trouver des moyens d'améliorer le campus, ou en liaison avec des acteurs extérieurs, les entreprises, des actions tanks, des associations, ou des services publics pour développer des projets qui soient rentables et qui apportent en même temps un vrai bénéfice écologique et social. Tous ces projets contribuent à l’ensemble des acteurs et forment une économie positive ».
Rodolphe Durand est professeur de stratégie et de politique d'entreprise à HEC Paris. Il est également directeur académique de l'Institut Society & Organizations d'HEC et titulaire de la chaire Purposeful Leadership .