Vous pensez que vous n'êtes pas créatif ? Détrompez-vous...
C’est le message que le professeur Anne-Laure Sellier, experte en créativité, veut faire passer auprès des entreprises, mais aussi de ses étudiants. Son cours, intitulé « Boosting Creativity », fait partie des plus populaires du programme en ligne « MSc in Entrepreneurship and Innovation » d’HEC Paris Executive Education. Son objectif ? Aider les participants à accéder à des compétences insoupçonnées…
On ne parle pas ici de « dons du ciel » ou d’être inspiré par une muse. La créativité est à la portée de tous.
« L'une des raisons pour lesquelles la créativité fait son apparition tardive dans les programmes d'études ; et HEC Paris est l'une des rares écoles de commerce au niveau mondial à proposer cet enseignement ; c’est que pendant longtemps, on avait tendance à croire que c'était quelque chose qui ne s’apprenait pas. Pendant une grande partie de notre histoire, nous avons cru que la créativité était un don du ciel, et qu'on ne pouvait pas y faire grand-chose. Nous savons aujourd'hui que ce n’est pas vrai : grâce à la recherche, nous disposons de suffisamment de données pour savoir que la créativité peut effectivement être enseignée. Vais-je faire de vous le nouveau Léonard de Vinci en l’espace de 18 heures ? Certainement pas. Mais, dans une certaine mesure, je peux réellement vous aider à développer votre esprit créatif, en un laps de temps relativement court. »
L'apprentissage de cette compétence s’avère extrêmement utile dans le cadre professionnel
« Peu importe votre point de départ, nous pouvons aujourd'hui, grâce à nos connaissances, améliorer votre niveau de créativité. C’est évidemment un avantage très précieux pour les entrepreneurs comme pour les grandes entreprises, qui doivent sans cesse innover dans un environnement de plus en plus concurrentiel. De Vinci n'a pas eu ce problème : les 15 tableaux qu'il a créés au cours de sa vie lui ont valu 500 ans de tranquillité. Dans le monde des affaires d'aujourd'hui, il faut innover, offrir en permanence une valeur supérieure à celle de vos concurrents, en utilisant les capacités dont vous disposez. »
Les chefs d'entreprise considèrent la créativité comme leur principal atout commercial
« En 2010, un rapport très intéressant et pertinent a été publié. Il a été réalisé par IBM et s'intitule Navigating Complexity. Il s'agit d'une enquête à grande échelle menée auprès de 1500 PDG et dirigeants publics du monde entier, à qui l'on a demandé quelles étaient les compétences essentielles pour réussir dans le monde des affaires d'aujourd'hui. La créativité est de loin la compétence la plus mise en avant par les dirigeants interrogés. Ils n'ont pas détaillé ce qu'elle signifiait pour eux, mais ils la considèrent comme une compétence essentielle dans le monde des affaires aujourd’hui. »
Expliciter le sens du mot « créativité »
« Chacun de mes cours débute par une discussion sur le vrai sens du mot ‘créativité’, qui échappe souvent à la plupart des participants. Qu’est-ce qu'il signifie exactement ? En réalité, nous commençons tout juste à comprendre comment fonctionne la créativité humaine, mais on peut s’accorder à dire qu’un résultat est créatif s'il allie nouveauté et utilité. Les spécialistes des sciences cognitives ont acquis d'autres connaissances fiables, qui sont suffisamment solides pour être intégrées dans notre enseignement. Mais soyons clairs, ce n’est que la partie cachée de l’iceberg, et nous n’avons aucune idée de la taille de la partie immergée. Nous ne sommes qu'au tout début de la compréhension du fonctionnement de la créativité ; elle reste l'une des rares fonctions cognitives humaines qui échappe encore à l'intelligence artificielle. »
Nous avons beaucoup à apprendre des créateurs en déconstruisant leur processus de création
« En classe parfois, nous étudions les travaux de créateurs célèbres. Prenez Steve Jobs, par exemple. Je l'admire beaucoup, mais j'encourage les participants à se détacher de son statut de légende. Il était, certes, doté d’un esprit créatif extraordinaire, mais il a également eu beaucoup de chance et s’est formé pour obtenir les informations dont il avait besoin. Il ne s'est pas contenté de dire ‘Tiens, je pense que les écrans tactiles sont l’avenir de la technologie.’ Il savait que les écrans tactiles fonctionneraient grâce à ses connaissances approfondies en anthropologie : il avait compris que l'un des plus grands plaisirs de l'humanité, qui remonte à l'époque des hommes des cavernes, était d'utiliser directement les mains pour dessiner, comme pour les peintures rupestres. Mais sa vision des choses était différente de celle de ses pairs, ce qui lui a donné un réel avantage . »
Enseigner la créativité à travers la « provocation »
« Quand je demande qui dans la salle ne se sent pas créatif, beaucoup de participants lèvent la main... et nous examinons ensuite pourquoi cela s'est produit et nous cherchons à comprendre d'où vient cette façon de penser. Ce problème peut être résolu très facilement : il suffit de faire comprendre aux gens que très souvent ils sont le frein à leur propre créativité, car conditionnés par leur éducation et plus généralement par l'environnement dans lequel ils ont grandi. Je base mes cours sur les expériences. J'essaie de vous faire sentir au moins une fois pendant le cours (si ce n’est plusieurs) que votre pensée est influencée par les choses que je vous fais faire de manière à bouleverser vos habitudes. Prenez, par exemple, le brainstorming. La plupart des entreprises y ont recours en permanence, même si les scientifiques savent depuis longtemps qu’il s’agit, en moyenne, d’un processus d'idéation sous-optimal. »
Épurer pour gagner de la valeur : une idée révélatrice
« L'une des techniques de créativité sur lesquelles nous travaillons consiste à réfléchir à créer quelque chose de nouveau en supprimant un élément existant. C’est le concept du « less is more ». Prenez un téléphone, par exemple, et supprimez une fonction au lieu d'en ajouter une nouvelle, comme le fait d’ailleurs tout ingénieur pour différencier son téléphone. En supprimant une fonctionnalité, vous pouvez avoir l'impression de perdre de la valeur. Mais en y réfléchissant, ce produit à première vue inférieur (dans le contexte d'un monde social) peut finalement s’avérer supérieur. Toujours avec l’exemple du téléphone, en supprimant la possibilité d'appeler, vous créez le premier téléphone pour enfants : les parents peuvent les appeler, mais pas l’inverse (appels à des inconnus ou perdre du temps à appeler les amis qu'ils viennent de quitter à l'école). C’est un marché de niche, certes, mais pour lequel vous créez plus de valeur. »
Une autre façon d’encourager la créativité : demander aux étudiants de combiner deux concepts qui n’ont aucun rapport
« Une ancienne étudiante m'a contacté il y a deux jours. Elle a créé une garderie intergénérationnelle pour les enfants au sein de maisons de retraite en France. Elle est partie du constat qu'il n'y a pas assez de places dans les crèches en France, ce qui signifie que des milliers de familles n'ont pas de solution pour leurs jeunes enfants, alors que 2,5 millions de personnes de plus de 85 ans, et plus encore de plus 65 ans, passent leur retraite seules. Elle a donc eu l'idée d’associer les deux concepts de manière à créer de la valeur à la fois pour les personnes âgées et pour les enfants.
C’est exactement ce que nous faisons en classe : trouver des domaines de valeur existants qui ne sont pas en corrélation et imaginer ce qui pourrait se passer en les combinant. Dans le cas de mon étudiante, elle a trouvé une solution qui permet à la génération la plus âgée d'interagir quelques heures par jour avec les enfants, en leur faisant la lecture, par exemple ; tandis que les plus petits apprennent le respect et l'empathie. Elle apporte aussi une solution au problème de la garde des enfants. Elle a prévu l'ouverture de dix nouveaux centres cette année, ceux déjà ouverts étant complets. Cherchez-les sur Internet, la société s'appelle "Tom & Josette". C'est un exemple clair que vous n'avez pas besoin de réinventer la roue pour créer une valeur redoutable. La créativité consiste en grande partie à se servir des bases de l'existant pour construire quelque chose de nouveau. »
Découvrez l'impact que le professeur Anne-Laure Sellier souhaite avoir sur ses étudiants dans ce podcast « Tomorrow is our Business ».