Emmanuel Faber aux étudiants d’HEC : « Ne désertez pas ! Et inventez l’économie de demain »
Emmanuel Faber a donné le coup d'envoi de la saison 2022-2023 des conférences HEC Talks. Le président de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) a saisi cette occasion pour lancer un vibrant appel aux étudiants, afin qu'ils « réinventent l'avenir » grâce à la résilience et à une culture de la réinvention. Il s’agissait du premier retour de l'ancien PDG de Danone sur le campus depuis la cérémonie de remise des diplômes de 2016 et son mémorable discours, devenu incontournable online et qui a transformé son image.
(© Ciprian Olteanu - Madetoshow.com)
C'est dans un Hall d'honneur plein à craquer que s'est déroulé le retour très attendu sur le campus d'Emmanuel Faber. Dans son discours d’accueil, le Directeur Général et Dean d’HEC Eloïc Peyrache a tenu à saluer l'ancien étudiant de l’école (H.86) en résumant ainsi sa carrière : « En tant que PDG, Emmanuel a voulu changer les règles du jeu et a eu un impact sur la vie de millions de personnes. Il mène désormais une mission essentielle, au cœur même des défis du monde d’aujourd’hui. »
Emmanuel Faber n'a pas déçu toutes ces attentes. Six ans après son intervention mémorable devant les diplômés de la promotion 2016, il a prononcé un nouveau discours inspirant, sous forme de plan d'action face aux défis climatiques. Au cours de son échange avec les 1000 étudiants présents, celui qui s'autoproclame aujourd’hui "Change maker" a tenu à dénoncer l’échec climatique de la relance post-Covid, à stigmatiser la peur, l'égoïsme et l'aveuglement à l'origine de celui-ci, en évoquant de nombreux exemples concrets de résilience à même de surmonter ces faiblesses. Emmanuel Faber a également souligné l’urgence d'une redéfinition de l'économie dans son ensemble, avant d’exhorter avec force les futurs leaders présents devant lui à ne pas baisser les bras face à l'adversité.
Mais ce passionné d'alpinisme a commencé par partager l’expérience qu’il a vécue cet été, près de Chamonix : « Je n’avais jamais vu une telle avalanche de pierres, à seulement 200 mètres de distance. Nous étions à 4.000 mètres d'altitude, et la neige n'était pas du tout gelée - je n'avais jamais rien vu de tel auparavant. Les choses changent très vite et nous le voyons, surtout dans cet écosystème fragile qu’est la montagne. » Emmanuel Faber a ensuite fait le lien entre son ascension récente et des expériences similaires vécues par les étudiants HEC dans le cadre du séminaire de trois jours intitulé « Purpose & Sustainability », qui a ouvert leur année académique. « Cette initiative d’HEC est une formidable introduction aux défis auxquels nous sommes maintenant confrontés, pour voir l'impact du réchauffement climatique, concrètement, sous nos yeux. Il est essentiel maintenant qu’au cours de vos années de scolarité, vous puissiez réfléchir à ces questions primordiales et aux options pour y répondre. »
Réécrire les normes liées au développement durable
Etablir de nouvelles normes pour les économies mondiales : c’est la voie qu’Emmanuel Faber explore depuis plusieurs années. L'International Sustainability Standards Board (ISSB), qu'il préside, milite activement pour transformer les normes comptables et l'économie, notamment en prenant en compte des externalités comme le climat, l'eau, la biodiversité… : « Traditionnellement, nous supposons que le pétrole, des sols sains pour l'alimentation, l'énergie ou les talents humains sont gratuits. Notre travail au sein du collectif ISSB consiste à réécrire l'économie des marchés de capitaux, afin de prendre des décisions sur la base de ces externalités. Si nous ne le faisons pas, nous resterons aveugles et ne prendrons pas les bonnes décisions pour l'avenir. »
Emmanuel Faber est également membre de la commission « Transformational Economics », lancée par le Club de Rome, qui cherche à répondre aux crises actuelles de la santé, de la biodiversité et du climat par des démarches sociopolitiques et économiques. Et celles-ci, il en est convaincu, ne peuvent réussir qu'en redéfinissant la compétitivité et en allant au-delà du coût. « C’est pourquoi nous avons besoin de la résilience pour régénérer nos économies nationales. La résilience doit devenir le nouveau moteur de nos économies. Nous avons dix ans pour y parvenir, avant d'atteindre le point de bascule lié au carbone. Des choix difficiles devront être faits par des décideurs comme moi, comme vous. »
La résilience, du Japon au Kenya
Malgré l'urgence, Emmanuel Faber se veut optimiste, citant des exemples de résilience, de nouvelles façons de penser dans des situations aussi diverses que celle des moines Shaolin, du peuple ukrainien, ou encore des habitants de Tokyo : « Après l'accident nucléaire de Fukushima, le gouvernement japonais a demandé à la population de Tokyo de réduire ses émissions de carbone d'au moins 15%. En l'espace de trois mois, les 32 millions d'habitants de la ville ont réussi à réduire ces émissions de 20 %, tout en trouvant la force d'aider les victimes de la catastrophe. »
Au cours de la séance de questions-réponses qui a suivi la conférence, Emmanuel Faber a également évoqué les actions agro-écologiques d’agriculteurs kenyans, qui sont parvenus à créer une culture régénératrice pour répondre aux changements climatiques. « Nous avons suivi 15.000 agriculteurs au Kenya et constaté qu'ils avaient non seulement augmenté leur productivité, mais aussi réduit leur consommation d'eau de 30 %. Il y a donc une corrélation positive qui peut nous inspirer pour intégrer cette culture régénératrice dans nos chaînes d'approvisionnement. »
S'exprimant pendant plus d’une heure sans notes, Emmanuel Faber a tenu à dresser une liste des raisons pour lesquelles tous ces changements systémiques n'ont pas encore été mis en œuvre : « L'égoïsme, la peur, l'aveuglement ! Les dirigeants ne veulent pas risquer de perdre leur pouvoir. Mais, alors, le pouvoir devient un poison. Nous ne voulons pas de tels leaders, nous voulons un leadership collectif, et du multilatéralisme, dans ce monde non linéaire et fragmenté. » L'auteur d’Ouvrir une voie (éditions Paulsen, 2022) juge par ailleurs les conseils d'administration des grandes entreprises particulièrement mal équipés pour comprendre les changements profonds nécessaires face aux défis climatiques. « Mais c'est une question de génération. Les personnes les mieux préparées pour créer cette prise de conscience mondiale sont celles de votre génération. Pour contribuer à ces changements, il faut vous concentrer sur votre développement personnel. Votre diplôme d’HEC est un outil puissant, mais vous devez trouver votre étoile polaire, votre mélodie unique ! Témoins du changement climatique, et de la façon dont il redéfinit nos économies, vous devez prendre conscience de ce que vous voulez être, de tout ce que vous pouvez faire, de toutes les solutions que vous pouvez mettre en œuvre et qui n'ont pas encore été essayées. »
Le parcours d'une vie
« Merci pour cette intervention remarquable, » saluait l'un d'entre eux, « vous soulignez à juste titre l'urgence de la situation. Mais beaucoup de jeunes craignent que ces changements soient injustes, qu'ils aillent à l'encontre de leur éducation, de la promesse d'une vie simple et agréable. » Un autre étudiant se demandait quel rôle il pouvait jouer dans la transformation et le développement environnemental des pays émergents. Tandis qu'un troisième voulait savoir si la décroissance était le seul moyen de répondre à cette crise environnementale. Des questions trop nombreuses pour qu'Emmanuel Faber puisse toutes y répondre en détail. Il a donc conclu son échange avec les étudiants par une incitation : admettre que ce parcours vers l’avenir, cette transformation, n'est pas conçue pour un bonheur facile qui maintiendrait le statu quo. « Au contraire, ce sera le parcours de toute une vie, vous y rencontrerez des gens formidables qui pourraient changer votre vision de ce qu’est "une bonne vie" et, en fin de compte, peut-être changer qui vous êtes. »
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