"Si le climat était une banque, l'aurait-on déjà sauvé ?" Pierre Larrouturou présente sa vision de l’économie verte à HEC Paris

Mardi 20 septembre 2023, l’association étudiante ESP’R recevait l’eurodéputé Pierre Larrouturou  à HEC Paris pour une conférence sur l’urgence climatique et ses conséquences sociales, intitulée « si le climat était une banque, l'aurait-on déjà sauvé ? ». Les participants ont pu s’informer sur l’évolution de la politique environnementale et économique européenne et échanger avec un expert passé par le conseil avant de s’orienter vers une carrière politique puis de devenir une figure du militantisme pour le climat.  

^{Auteur/Author of this article: Frédéric Voirin}

« On peut aborder les questions écologiques et sociales de deux manières, qui s’alimentent et se complètent : par la théorie et par la pratique ». Ce sont avec ces mots qu’Hortense Franchon, présidente d’ESP’R invite la petite centaine d’étudiants présents à s’installer dans l’amphithéâtre Blondeau d’HEC Paris ce mardi soir. Pour sa première conférence de rentrée, Esp'R – association étudiante d’HEC Paris axée sur l’écoresponsabilité et les questions environnementales - a choisi l’angle de la pratique, avec une figure forte de l’engagement politique pour le climat à quelques mois des élections européennes de juin 2024.  

Un événement qui s’inscrit dans la continuité de la réorientation des cours d’HEC Paris en faveur de la transition écologique, de l’engagement citoyen et des grands défis sociétaux.

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« Je ne suis pas venu faire une conférence mais chercher des alliés pour le climat »

Devant une centaine d’étudiants et étudiantes HEC, Hortense Franchon, présidente de l’association étudiante ESP’R, débute par 3 minutes d'introduction pour rappeler le parcours et le début de carrière de Pierre Larroutourou.  

Eurodéputé depuis 2019, Pierre Larrouturou a une formation d’ingénieur agronome, est diplômé de Sciences Po, et a une expertise reconnue en économie. Après ses études, il travaille dans le conseil chez Accenture pendant 11 ans. Il y reste jusqu’en 2000, date à laquelle il décide de se consacrer intégralement à ses engagements politiques. Après des allers-retours entre le Parti Socialiste et Europe Écologie les Verts, il crée son parti en 2013, Nouvelle Donne. Fervent militant écologiste, en 2017, il crée le Pacte Finance Climat, collectif de lutte contre le réchauffement climatique à l’échelle européenne. Et depuis 2019 donc, il est député européen, et a été rapporteur général du budget 2021 de l’UE.

Après ces premières présentations, Pierre Larrouturou rentre rapidement dans le vif du sujet avec une présentation Powerpoint très détaillée de 15 minutes sur l'urgence climatique et ses conséquences en termes d’urgence sociale et d’impact économique. Et surtout il précise dès le départ : « Je ne suis pas venu faire une conférence mais chercher des alliés pour le climat ».  

L’eurodéputé sait qu’à HEC Paris, les populations du Master Sustainability and Social Innovation mais aussi de nombreux étudiants et étudiantes du Programme Grande Ecole Master in Management sont sensibles aux questions environnementales, d’autant plus que la refonte du curriculum d’HEC Paris a évolué en faveur de la transition écologique, de l’engagement citoyen et des enjeux planétaires et sociétaux.  

L’accélération du changement climatique et les phénomènes extrêmes nous obligent à agir 

Ce mardi soir à HEC Paris, Pierre Larrouturou martèle avec conviction et un ton vif qu’il « pense que les citoyens doivent s’engager plus fortement pour la planète ».  

Il donne des exemples simples mais aussi des statistiques économiques précises. Il revient sur sa propre expérience en indiquant que, bien que le phénomène des ouragans ne soit pas directement lié au réchauffement climatique, la violence de ceux-ci en est le corollaire : « les ouragans de catégorie 4 ou 5 ont augmenté partout sur la planète avec le réchauffement climatique récent ». De manière plus triviale, il sourit un peu jaune en lançant qu’« avant chez ma grand-mère en Bretagne, il pleuvait tout le temps. Maintenant, il y a des incendies », devant une photo d’un Ker breton en flammes.  

Ce béarnais de naissance explique qu’à titre personnel, il a modifié ses habitudes alimentaires en réduisant sa consommation, notamment de viande, ne prend plus l’avion pour ses vacances car il y a trop de conséquences concrètes du réchauffement climatique sur nos économies.  « La récolte de blé en Europe en 2016 a diminué d’un tiers : ce -30% est une conséquence directe des inondations qui ont pourri les cultures. »

« Les citoyens doivent s’engager plus fortement pour la planète »

Taxer les transactions financières à 0,1% fournirait 57 milliards annuels pour le climat

L’eurodéputé, devant une audience étudiante très attentive, précise ses idées pour pallier les conséquences du dérèglement climatique, avec des propositions de mesures concrètes, notamment dans le monde de la finance.  

« Je pense que si le climat était une banque on l’aurait déjà sauvé, car lors de la crise économique de 2008 la Banque Centrale Européenne a pu créer 1000 milliards d’euros et réglé des blocages juridiques en seulement 3 jours », indique l’ex-collaborateur de Michel Rocard au sein du parti socialiste. Il poursuit ses calculs et précise qu’"aujourd’hui, on pourrait avoir une banque centrale qui propose 300 milliards d’euros de crédit pour le climat par exemple, mais post-covid, en pleine inflation 2023, avec une tendance au rétropédalage politique, il paraît très compliqué d’investir contre l’urgence climatique."

A titre de comparaison, en 2022, la part des investissements de la banque européenne d’investissement qui s’oriente de plus en plus en faveur de projets et actions pour le climat et la durabilité environnementale n’a atteint “que“ 36,5 milliards d’euros.  

Aussi, si l’on veut faciliter la neutralité carbone d’ici 2050 conformément au pacte vert pour l’Europe, la meilleure solution selon Pierre Larrouturou serait une taxe sur les transitions financières. Aujourd’hui cette ponction stratégique est inexistante mais selon lui, on pourrait taxer à hauteur de 0,1% les activités financières. Cela générerait, selon ses calculs, 57 milliards d’euros chaque année pour compenser les conséquences économiques de l’impact climatique actuel.  

« Si le climat était une banque on l’aurait déjà sauvé »

A l’origine de l’idée de Banque européenne du climat, reprise par la Commission européenne et en cours de réalisation, une solution de financement globale est proposée : le Pacte Finance-Climat européen. Cette idée consiste à mettre en place en Europe un plan Marshall pour le climat. Le principe consiste à combiner une partie de fonds de la Banque Centrale Européenne et de la spéculation financière mondiale pour viser à termes une ponction estimée à 1000 milliards d’euros par la Cour des Comptes de l’Union européenne.

Travailler 32 heures par semaine et créer des millions d’emplois dans la Green Economy

Pierre Larrouturou poursuit ses suggestions de changement avec une proposition de modification du rythme de travail avec la semaine de 4 jours, soient 32 heures hebdomadaires, initialement suggérée en 1993 par Antoine Riboud, PDG à l’époque du groupe Danone. Selon lui, cela ferait sens car on pourrait employer des robots et machines, et revoir ainsi nos modes de vie et de production.

D’ailleurs, après diverses tentatives plus ou moins concluantes en Europe entre 2015 et 2019, l’Union européenne a intégré à son budget 2023 un nouveau projet pilote proposé par Nouvelle Donne, qui vise à améliorer le bien-être et la productivité des employés et donnera notamment la parole aux entrepreneurs ayant fait ce choix. Ce projet, s’il est concluant, pourra ouvrir à des législations nationales pour modifier les temps de travail.  

Cela permettrait également de développer une création massive de nouveaux emplois dans l’économie verte, estimés à 500.000 nouveaux emplois d’ici 2050 rien que pour la transition écologique selon la BEI et plusieurs millions d’autres emplois partout en Europe dans de nouveaux secteurs de la Green Economy- (l’économie verte). De plus, cette réduction du temps de travail pourrait permettre de consacrer plus de temps à la formation des salariés. Selon l’eurodéputé, la combinaison de ces nouveaux métiers et besoin de formation parallèle « avec un vrai pacte finance-climat-emploi, pourrait créer rien qu’en France 900.000 emplois ».  

« Avec un vrai pacte finance-climat-emploi, rien qu’en France, on pourrait créer 900.000 emplois ».  

Une constance militante

L’eurodéputé est constant dans les idées qu'il défend : la semaine de 4 jours, un financement plus ambitieux pour la transition écologique, une taxe sur les transactions financières à l’échelle européenne, pour laquelle il a fait une grève de la faim. Qu’on adhère ou pas aux idées qu'il défend, Pierre Larrouturou propose des solutions concrètes et ambitieuses aux immenses défis du XXIe siècle, qui incitent à la réflexion et poussent à l’action.  

Sa grève de la faim a d’ailleurs marqué les esprits des étudiants et étudiantes présents dans l’amphi ce soir-là, car plusieurs changent de regard sur l’homme en comprenant qu’il incarne physiquement son combat. L’un des étudiants présents pose d’ailleurs une question à la fin de l’événement sur ce que l’eurodéputé pense de l’actuelle grève de la faim de Thomas Brail, défenseur des arbres qui milite devant le ministre des transports contre l’extension de l’autoroute A-69 sur le trajet Toulouse-Castres. La réponse de Pierre Larrouturou est immédiate et incarnée : « j’irai le soutenir demain à Paris, je lui ai promis ».

Face aux questions des étudiants qui se demandaient légitimement si une poursuite de carrière dans le monde des affaires est compatible avec une écoresponsabilité durable, Pierre Larrouturou leur a répondu par l’affirmative : « on peut aider au changement dans tout type d’entreprise, je suis resté 11 ans chez Accenture avec un patron spécialisé de la conduite du changement. Ensuite, j’ai décidé de mener mes combats en politique et j’espère être réélu pour un nouveau mandat de 4 ans d’eurodéputé pour poursuivre mes actions. »

« On peut aider au changement dans tout type d’entreprise »