L’impact indéniable des neurosciences dans le marketing
Utilisez-vous les neurosciences dans votre pratique du marketing ? Vous devriez peut-être. Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou, Professeure à HEC Paris et co-auteure de l’ouvrage Le neuro-consommateur : Comment les neurosciences éclairent les décisions d'achat du consommateur, s’intéresse depuis plusieurs années à ce sujet qu’elle enseigne au sein du Certificat Executive Marketing & Digital d’HEC Paris. Appliquées au marketing, les neurosciences s’avèrent tout à fait pertinentes, pourvu qu’elles soient utilisées de façon éthique, nous explique la Professeure lors de notre dernier échange. [Dernière mise à jour : 11 mars 2024]
Privilégier le rationnel ou le non rationnel ?
Les neurosciences, bien que rarement enseignées dans les formations en Marketing, rencontrent chaque année un vif succès au sein du Certificat d’HEC Paris. Les participants, qui se sentent immédiatement concernés par le sujet - qui touche de près comme de loin les sphères professionnelle et personnelle - constatent que les neurosciences interrogent nos sens, notre approche et nos pratiques.
“ Dans l’ouvrage coécrit avec Michel Badoc, nous sommes partis des intuitions constatées par beaucoup de philosophes, et confirmées depuis par les neurosciences, “ explique Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou. Une grande partie de notre cerveau agit en effet de façon non consciente, non rationnelle, alors que par la force des choses, les hommes étaient amenés à croire qu’ils fonctionnaient rationnellement. “ Sans conteste, on remarque que ce sont souvent les gut feelings qui régissent nos choix et comportements. “
Dans la bataille acharnée entre Coca-Cola et Pepsi, les neuroscientifiques ont apporté un éclairage fascinant sur les décisions d'achat des consommateurs. Selon une étude publiée en 2004 dans la revue Neuron, des chercheurs ont utilisé l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour observer les réactions cérébrales de 67 participants pendant qu'ils buvaient des gorgées de ces deux sodas emblématiques.
Les résultats ont révélé que lorsque les participants voyaient le logo de Coca-Cola, leur cortex préfrontal dorso-latéral et leur hippocampe, des zones associées à la mémoire et aux souvenirs émotionnels, s'activaient fortement.
En revanche, aucune réaction spécifique n'a été observée lorsque les participants étaient exposés à Pepsi. Cette étude met en lumière le pouvoir de Coca-Cola à évoquer des souvenirs émotionnels profonds chez les consommateurs, renforçant ainsi leur préférence pour cette marque grâce à des publicités mettant en scène des moments festifs emblématiques.
Prendre conscience de cette dimension est plus que jamais capital en entreprise. “ Travailler sur les émotions devrait primer sur le modèle cartésien, “ affirme l’experte.
Tirer parti des neurosciences dans l'exercice de sa fonction
Comment utiliser concrètement les neurosciences lorsque l’on est directeur ou responsable marketing ? “ Dès que l’on aborde le sujet des neurosciences en classe, les participants développent une meilleure compréhension des sens et sont amenés à se demander par exemple, comment les neurosciences peuvent aider à rendre le web plus sensoriel. “ La notion de marketing sensoriel a depuis longtemps investi l'univers des grandes marques, qui jouent sur tous les sens. Certaines sont d’ailleurs parvenues à changer la perception de leur produit en leur faveur.
“ La compréhension des couleurs ou encore le design des logos nécessite toute une recherche préalable, intégrant les neurosciences. Ce travail préliminaire est nécessaire pour renforcer le positionnement de la marque, ” souligne Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou.
Utiliser les neurosciences pour véhiculer ses idées
Les marketeurs sont particulièrement attendus sur leurs présentations orales. “ En cours, nous abordons l’usage des neurosciences pour la réalisation de présentations plus impactantes, “ explique la Professeure. En effet, avant la conception de toute présentation, il importe aux participants d’intégrer deux notions clés.
D’abord, le cerveau est égocentrique - c’est là notre façon de survivre. Il s’agit donc pour le professionnel d’être en capacité de comprendre le besoin de son interlocuteur et ce qu’il a envie d'entendre. “ Cela nous ramène en permanence à la notion d’empathie. Sur le plan relationnel, la meilleure façon d’obtenir de l’attention est de parvenir à se mettre à la place de son interlocuteur, ” précise la Professeure. La prise en compte de cet élément est fondamentale et va largement impacter le choix des mots ou encore le ton employé.
Deuxièmement, selon les règles neuro-esthétiques, le cerveau utilise des heuristiques - qui supposent de résoudre un problème sans passer par une analyse détaillée. Plus on lui mâche le travail, plus le cerveau va traiter l’information facilement et trouver cela agréable.
Une fois ces deux notions assimilées, les marketeurs ne peuvent plus faire l'économie de certaines pratiques s’ils souhaitent marquer les esprits et atteindre leur objectif lors d’une présentation orale, avec ou sans support. Il s’agit par exemple de privilégier les images aux mots, d’éviter la dissonance cognitive entre ce que leur interlocuteur lit et ce qu’il entend, d’utiliser le pouvoir du storytelling, d’interpeller avec une question ou encore de travailler les titres de la présentation. Alors que ces notions résonnent comme une évidence pour beaucoup, elles sont pourtant loin d’être appliquées au quotidien.
Evelina Tetu, participante au Certificat Executive Marketing & Digital confirme. “ Ce cours était une vraie découverte. J’ai à présent une meilleure compréhension de moi-même et je me questionne davantage avant de réagir dans une situation spécifique. “ Les neurosciences ont le pouvoir d’activer une toute nouvelle approche au quotidien. “ J'ai une lecture différente des comportements, du ton de la voix, et cela agit sur mes présentations et sur mes échanges, “ précise Evelina.
Et l’éthique dans tout ça ?
Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou met en garde contre une utilisation non éthique des neurosciences. “ Je m’oppose fermement à l’usage des neurosciences pour manipuler ou pour tromper les gens. “ Chacun d’entre nous a déjà été confronté à des sites web qui utilisent les neurosciences pour accélérer le processus d’achat, notamment en créant une fausse urgence, avec des messages tels que ‘Attention, plus que deux places disponibles à cette date !’ “ L’usage des neurosciences doit toujours se faire avec beaucoup de discernement et d'éthique, et idéalement pour rendre l’expérience utilisateur plus agréable, “ insiste la Professeure, qui défend ce parti pris dans son livre. L’ouvrage offre en effet une vulgarisation de ce que les neurosciences peuvent apporter au business, tout en soulignant les potentiels risques . “ Les neurosciences apportent des éléments puissants de conviction et de persuasion. Si leur utilisation entre en contradiction avec vos valeurs ou sert de mauvaises intentions, alors n’y allez pas. Mais s’il s’agit de les utiliser pour rendre votre marque plus émotionnelle ou encore pour créer de la proximité, alors elles ont tout leur intérêt. “
Si le Certificat Executive Marketing & Digital aborde le sujet fascinant des neurosciences, il se démarque aussi par des thématiques toutes aussi pertinentes pour les acteurs du marketing, notamment les Business Models, l’IA, la data, les réseaux sociaux, etc. Tout un curriculum qui fait le succès du programme.