Si vous voulez être un dirigeant responsable, vous devez incarner votre mission
HEC Paris dote les dirigeants de demain d'une multitude de compétences métiers mais, depuis trois ans, ils se familiarisent aussi avec une dimension qui s'avère plus importante encore que le profit. Cécile de Lisle, Directrice Exécutive de la Joly Family Chair in Purposeful Leadership, explique en quoi les programmes de l'école de commerce axés sur la quête de sens s’inscrivent dans la formation de base, tout en changeant entièrement la donne.
Il y a quelques années seulement, l'objectif principal de la plupart des écoles de commerce internationales était, il faut bien l’avouer, d’équiper les étudiants de compétences dont ils avaient besoin pour faire avancer leur carrière aussi loin que possible.
La notion de sens au cœur des affaires
Historiquement, la majorité des cours n'avaient pas vraiment de dimension humaine et sociétale, et la formation des écoles de commerce n’était généralement pas axée sur la participation des entreprises au bien commun.
Aujourd'hui, cet objectif est au cœur de tous les programmes d’HEC Paris. Comme l'explique Cécile de Lisle, comprendre les enjeux de la raison d’être, de la mission de l’entreprise et du sens du travail en son sein n'est plus un luxe, c'est devenu l’un des fondements de la formation HEC Paris. « La chaire a été lancée il y a trois ans » explique-t-elle, « et dans ce cadre, il a été convenu que nous créerions des programmes axés sur la quête de sens, qui seraient proposés à tous les étudiants de l’école. Les enseignements sont différents pour les étudiants de MBA/EMBA et du programme Grande École, mais l'idée est fondamentalement la même : l'importance d'incarner la mission de l’entreprise. »
Pratiquez ce que vous prêchez
Il y a une différence importante entre se donner une mission et la mettre véritablement en œuvre au sein de l’entreprise – l’ « incarner » selon le terme en vogue sur le campus d'HEC Paris.
« Ce n'est pas comme si tout suivait, comme par magie, dès qu’une entreprise se donne une mission. Nous montrons, avec des recherches académiques à l'appui, que la mise en œuvre de la mission ne s’opère au sein de l'entreprise que lorsqu’elle est incarnée, et c'est pourquoi nous parlons de leadership axé sur le sens », affirme Cécile de Lisle. « Il s'agit de former des leaders pour qui la mission est capitale et qui l’incarnent réellement dans leurs pratiques, au sein de leurs équipes et dans leur manière de diriger ».
S’il est vrai que, pour les étudiants plus expérimentés comme ceux des cursus MBA et EMBA, ayant acquis une vision plus élaborée du monde de l’entreprise, il s’agit d’un concept familier, Cécile de Lisle reconnait que ce n'est pas toujours aussi évident pour les étudiants du programme Grande École – du moins pas au début.
« Pour les aider à comprendre », dit-elle, « nous leur faisons partager chaque année l'expérience d’une cinquantaine de dirigeants. Par exemple, en septembre de cette année, les étudiants de première année, pour la plupart âgés de 20 ans à peine, ont assisté à plusieurs conférences marquantes dont une de Jean-Dominique Sénard, PDG de Renault, qui les a particulièrement interpelés ».
Jean-Dominique Sénard, souligne-t-elle, a joué un rôle clé dans l’élaboration de la loi PACTE en France, qui permet aux entreprises d’inclure leur « raison d'être » dans leurs statuts. « C'est un dirigeant très expérimenté lorsqu'il s'agit d'incarner une raison d'être au sein d'une entreprise. Il promeut l’importance de la mission de l’entreprise, mais s'exprime également sur son expérience personnelle de dirigeant, ses propres vulnérabilités et la manière de donner le meilleur de soi pour permettre à ses équipes de donner le meilleur d'elles-mêmes. Les intervenants qui parviennent à toucher le cœur des étudiants sont ceux qui n’hésitent pas à leur parler de qui ils sont et de la manière dont ils essaient d’être authentiques dans leur fonction », déclare Cécile de Lisle.
Être soi, être avec, être pour
La carrière de Cécile de Lisle a été marquée par la quête de sens, avant même qu’elle n’occupe son poste actuel – même si le leadership éclairé n’est devenu son sujet de prédilection que récemment. Ancienne diplômée d'HEC Paris et de Sciences Po, elle a fait une thèse et un post doctorat en économie du développement pour contribuer au développement des pays pauvres. Alors qu’elle était chercheuse sur ces thèmes chez McKinsey, elle réalise qu’une grande partie du sujet est liée à la qualité du dirigeant et à l’authenticité de son attachement à sa mission. « Tout dépend de la ‘colonne vertébrale’ du leader, et j’ai pensé que le travail sur cette colonne vertébrale était une dimension qui manquait dans les écoles de commerce », dit-elle. « C'est pourquoi je m’y suis attelée ».
La quête de sens dans l’entreprise et son incarnation par ses dirigeants fait désormais partie intégrante des enseignements d’HEC Paris. Les méthodes d'enseignement sont très novatrices. « Nous ne donnons aucune recette de leadership à nos étudiants » explique Cécile de Lisle. « Nous les amenons à se poser des questions sur eux-mêmes, sur leur vocation, sur la manière dont ils interagissent avec les autres et dont ils incarnent la raison d’être d’un projet auquel ils adhèrent en profondeur ».
Plus précisément, les étudiants travaillent sur trois « Être » : l’ « être soi », l’« être avec » et l’« être pour ». Ce dernier point concerne à la fois la « raison d’être » de l’entreprise, évoquée plus haut, et le système de valeurs propre de l’étudiant. Pour quelles raisons va-t-il travailler ?
« Nous ne pensons pas que les étudiants puissent apprendre cela simplement à travers des cours théoriques de leadership », explique Cécile de Lisle, « nous nous appuyons donc sur trois piliers. Le premier est « l'expérience » : il est essentiel que nos étudiants touchent du doigt les contradictions que porte tout projet économique, qui doit concilier la fidélité à sa raison d’être et l’obligation de résultat ». Ils sont donc confrontés à ces questions « sur le terrain », via des partenariats avec des petites et grandes entreprises.
Le deuxième pilier est « la connaissance de soi » : il est couvert par des cours réguliers avec un coach professionnel. « Cela aide nos étudiants à comprendre leurs préférences, leurs préjugés, leurs motivations, et la manière dont ils peuvent motiver leurs équipes autour d’une mission commune ».
Enfin, le troisième pilier, les « sciences humaines », encourage les étudiants à continuer de se développer en tant qu’individu, d’approfondir les apports de la philosophie, de l'histoire, de la sociologie ou de la psychologie.
Le rôle de la recherche académique
La Chaire ne se limite pas à préparer les étudiants à jouer leur rôle dans l'élaboration d’un capitalisme plus responsable. Elle mène aussi des recherches académiques sur l'impact de l’incarnation du sens en entreprise, et démontre son importance. « Nous démontrons que si les dirigeants incarnent la mission de l’entreprise de manière authentique et engagée, l’engagement des collaborateurs et la performance de l'entreprise sont plus forts ».
En fin de compte, le but ultime est d’inciter les entreprises à contribuer au bien commun, et les étudiants à prendre conscience du rôle qu'ils peuvent jouer dans ce tournant. « Nous sommes convaincus qu’un capitalisme plus responsable est indispensable », affirme-t-elle, « et derrière cela, il y a des personnes, et singulièrement des dirigeants. Beaucoup de nos étudiants vont jouer des rôles clés dans ce système, donc pour nous, la vraie question est : de quoi aurez-vous besoin, en tant que leader, pour assumer vos responsabilités et incarner un capitalisme plus humain ? ».